Monsieur Merlot, Docteur Pinard. Deux cépages, deux philosophies

Il est des philosophies qui se construisent sur des oppositions de fond. Prenez celle des Lumières par exemple – pas merlot pinot noir voltaire rousseaucelle des frères, celle qui a conduit à la révolution française. Deux de ces principaux contributeurs se sont fait remarquer par leurs confrontations épistolaires. Or tout le monde reconnaît aujourd’hui autant à Voltaire qu’à Rousseau l’influence majeure de leur pensée sur le cours du XVIIIème siècle.

Cinéma ou pas, dans la philosophie du vin, le rôle du génie solitaire irascible est joué par le cépage Pinot Noir, alors que celui de l’aristocrate éloquent est incarné par le cépage merlot (il fallait bien un bordelais pour jouer le rôle de l’aristo).

Ces deux cépages rouges comptent parmi les plus plantés au monde et jouissent d’une renommée internationale. S’ils connaissent un succès comparable, tout oppose pourtant ces deux variétés d’élite.
Florilège.

Souffler le chaud et le froid

Bien que tous les deux sont originaires de nos terroirs, les bastions de nos deux cépages sont à intersection nulle: le Pinot Noir est le cépage rouge emblématique de la Bourgogne. Il y est millénaire. C’est d’ailleurs le seul cépage rouge autorisé dans ce vignoble.
Quant au Merlot, il fait son apparition dans le Bordelais au milieu du XIXème siècle. Il y est rapidement devenu le cépage roi. Majoritaire dans le Médoc, où il est assemblé au Cabernet Franc et au Cabernet Sauvignon, il est l’égérie de la rive droite: Saint-Emilion, Pomerol sont des vins mythiques dans lesquels le Merlot domine jusqu’à 95%.

Le saviez-vous ?

Lors de la création du classement des Médocs en 1855, en prévision de l’exposition universelle de Paris la même année, le merlot était pratiquement inexistant dans le vignoble. C’était à l’époque le Malbec qui dominait l’encépagement local. Or ce classement est encore en vigueur aujourd’hui. Il n’a pas changé d’un iota alors que le Malbec a pratiquement disparu des vignes bordelaises !

Cette conception aristocratique de la classification des vins est digne de l’ancien empire. Un premier point commun avec Voltaire qui s’accommodait de ce régime, faisant ainsi un grand écart historique entre les valeurs réformatrices qu’il écrivait et sa complaisance envers un système décadent.

Une parcelle de Pinot Noir en coteau

Une parcelle de Pinot Noir en coteau

En France, le Merlot côtoie la mer et le Pinot les coteaux de plaine. A l’étranger, c’est bien le contraire.
C’est qu’en fait, le Pinot Noir ne se satisfait que des climats frais: au delà des coteaux bourguignons, on le retrouve en Alsace et de l’autre côté du Rhin, dans les versants abruptes du Palatinat. Aux Etats-Unis, il réussit mieux dans la fraîcheur de l’Orégon que dans la chaleur de la Nappa Valley. En Nouvelle Zélande, en l’Australie, au Chili et en Afrique du Sud,  on le retrouve dans les zones les plus fraîches, exposées au vent, côtières ou montagnardes. Le terroir idéal du Pinot, ce sont les vallons escarpés de moyenne montagne dont Rousseau nous parle dans ces Confessions.

Quand au merlot, au delà du bastion de Montesquieu, il s’est imposé comme le cépage de référence dans bien des vignobles mondiaux. Il est d’ailleurs devenu le cépage rouge le plus planté au monde après le cabernet sauvignon: l’Italie, la Suisse, la Californie, l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Chili, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’ont adopté, si bien qu’il couvre aujourd’hui 6% du vignoble mondial.

Plus de trois siècles après les philosophes des Lumières, c’est donc un vent de liberté d’un genre nouveau que nos cépages exportent à travers le monde.

Des différences « phytosophiques » marquées

Ils sont tous les deux à chaire rouge, couleur de la révolution. Mais éclairés, nos deux cépages-philosophes renvoient des Lumières bien différentes.

La peau du raisin joue un rôle important dans le vin qui en est sous-tiré: elle contient les anthocyanes qui colorent le vin, et les tanins qui lui donnent son goût astringent.

Or la baie du Merlot présente une peau épaisse gonflée de pigments et de tanins. La vinification de son jus donnera donc un vin à la robe d’un rouge opaque, aux reflets violacés puis magentas pour les plus jeunes, tournant vers le brun avec l’âge.

La baie du Pinot Noir est à peau fine. Moins éloquente, elle transmet moins de couleur et de tanins au jus au cours de la macération. Les vins de pinot noir sont donc assez facilement identifiables à l’oeil nu, par leur robe couleur rubis, pâle, sensible.

robes du merlot et du pinot noir

L’un marche seul, l’autre se mélange

Il est de notoriété commune que nos deux philosophes se distinguaient par des tempéraments pour ainsi dire opposés. De même, le Pinot Noir et le Merlot ont développé des personnalités différentes que leur vieillissement exacerbe.

Rond, puissant, corsé, riche en alcool et en arômes de cerise, de fraise, de cuir et d’épice, il ne manque au merlot qu’un petit quelque chose pour en faire un vin extraordinaire: un doigt d’acidité et une capacité à tenir les années de vieillissement. Or ces qualités sont exactement celles de son meilleur ami, le sobre mais charpenté Cabernet Sauvignon. Ce dernier apporte à leur assemblage la structure tannique qui lui manque pour forger un caractère d’exception.

Lui aussi exprime des arômes primaires de fraise, de cerise et de framboise, mais le pinot noir s’émancipe avec le temps qui révèle des arômes secondaires de cuir, de gibier et de réglisse. C’est un solitaire. Irascible, il marche seul. On aimerait lui en vouloir, mais force est de constater qu’il n’a besoin de personne: il ne supporte que rarement l’assemblage avec d’autres cépages. Et sa finesse qui peut atteindre des sommets dans les climats qui lui sont favorables ne souffre aucune compagnie.  Le Pinot Noir est un vin de cépage: il ne s’assemble qu’avec lui même.

Quelques exceptions

A noter que cette dernière règle souffre d’une exception de taille: le Champagne. Le « blanc de noir » est issu d’un mélange de pinot noir – très peu macéré, de telle sorte qu’il ne prenne pas la couleur rouge de sa peau – et de pinot meunier. Par ailleurs, les Suisses le mélangent avec du Gamay, et les Sud-africains avec du Cinsault, pour leur fameux Pinotage… Peut être pas si irascible que ça, le pinot !

Aux grands vins, la patrie reconnaissante

Délicat, sensible aux maladies et à la chaleur, le Pinot Noir est l’enfant ultra sensible dont le vigneron doit prendre un soin de tous les instants. Jovial, facile à cultiver et facile à boire, le Merlot de son côté ne fait pas d’histoire: il se contente de briller ! Le raffinement et l’éloquence pour l’un, la solitude du génie pour l’autre. Nos deux cépages d’élites ne manqueront cependant pas de se retrouver au Panthéon du vin:

  • Gevrey-Chambertin, Corton-Charlemagne, Clôt Vougeot, Chambol-Musigny sont autant de grands crus bourguignons qui ont fait la renommée mondiale du Pinot Noir. Ils comptent parmi les vins les plus fins et les plus respectés du monde.
  • Immortels, ces clos ferront face, dans leur dernière demeure, aux châteaux Hosanna, l’Evangile, ou encore Clos l’Eglise, autant de châteaux historiques de Pomerol, berceau du merlot, dont les noms sont sans doute un clien d’oeil à l’anticléricalisme farouche de Voltaire. Quant au château Pétrus, le plus emblématique d’entre eux, il ne porte pas un nom à connotation sacrée, puisqu’il signifie tout simplement « fesses ».

Le vin est lui aussi porteur de valeurs philosophique. Par la convivialité qu’il dissipe dans nos esprits, il est le garant du contrat social. Universel, il est à lui tout seul un traité sur la tolérance et l’humilité.

Le Pinot Noir et le Merlot se retrouvent au Panthéon du vin

Le Pinot Noir et le Merlot se retrouvent au Panthéon du vin

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gavroche

Je supporte plus l’eau c’est la faute à Rousseau, du coup j’ai tout vomis par terre c’est la faute à Voltaire.

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