L’œnotourisme a le vent en poupe. Il s’impose partout dans le monde comme un relais de croissance. Autant pour le secteur viticole que pour l’industrie touristique!
En effet, alors que la croissance de la consommation de vin tend à se tasser dans le monde, le secteur se doit trouver de nouveaux débouchés. Nouvelles sources de revenus, nouvelles cibles de consommateur… comment réinventer un secteur sans renier ses traditions ?
Côté tourisme, le « farniente » n’a plus la côte. De plus en plus, les touristes cherchent à donner du sens à leurs voyages. Se développer, se cultiver, découvrir de nouveaux horizons… finies les vacances oisives à siroter un mojito les pieds dans l’eau. Place aux voyages « transformationnels » !
L’histoire moderne de l’œnotourisme est relativement récente. Aussi loin que l’on peut remonter, c’est le jugement de Paris de 1976 qui est retenu comme point de départ de cette aventure dans la Napa valley en Californie. Plus récemment, le film Sideways a popularisé en 2004 le concept de voyage initiatique autour du vin… Et boosté le secteur. Aujourd’hui, l’œnotourisme pèse plus de 50 milliards d’euros de revenus directs dans l’économie mondiale !
Il n’existe pas une définition de l’œnotourisme unanimement acceptée dans tous les pays viticoles. Les chiffres du marché sont donc à prendre avec des pincettes car ils ne sont pas calculés sur la base d’une définition homogène. Néanmoins, dans un esprit de synthèse, nous proposons la définition suivante :
L’œnotourisme, ou tourisme viticole, définit l’ensemble des activités touristiques, tout format confondu, organisées dans l’objectif d’une découverte de la vigne, d’une région viticole, du métier de vigneron, du vin et de la dégustation.
C’est selon cette définition que nous allons analyser les dynamiques de marché oenotouristique mondial. Quelles sont les facteurs de réussite et les formules gagnantes du secteur ? Quelles sont les différences entre les approches du nouveau monde et de l’ancien monde ? Quel est le poids économique mondial du secteur ?
Se différencier en structurant une offre à valeur ajoutée
Si l’offre typique de tourisme viticole qui a fait ses preuves repose sur une bonne dégustation, cela ne suffit plus ! Pour fidéliser une clientèle en demande d’expériences riches et originales, le vigneron doit se diversifier. Nombreuses sont les thématiques qui permettent de cibler des profils plus larges que les seuls amateurs de vin :
- L’œnologie reste le cœur de la proposition de valeur. Le tour de la cave, du chai et de la vigne en compagnie du vigneron constitue une découverte du vin moins formelle, plus nature. La participation au métier du vigneron sous forme de parrainage de vignes, dont nous avons parlée ici et là est une expérience forte. Participative, elle convainc autant les passionnés de vin que les néophytes !
- L’hôtellerie : 80% des œnotouristes vivent en milieu urbain. Passer un weekend dans les vignes répond à leurs attentes croissantes de retour à la nature et aux traditions. A ce jeu-là, la région autrichienne du Tyrol du sud a réussi une initiative assez exemplaire. Les Vinum Hotels se sont regroupés pour proposer une offre globale et dédiée aux touristes viticoles. Ensemble, ils ont atteint la taille critique leur permettant d’investir dans un marketing qui les rend visible. Chose qui n’aurait pas été possible si chacun avait joué sa carte dans son coin.
- La gastronomie permet d’élargir l’audience aux épicuriens en général. Proposer des accords mets-vins, une dégustation de spécialités locales, un repas typique du coin laisse un souvenir généralement impérissable. En Afrique du Sud, la ferme de Fairview prés de Cape Town a poussé le modèle à son paroxysme en proposant des ateliers de dégustation et fabrication de vin et fromage ! Aux Etats-Unis, l’œnotourisme est inséparable du gastro-tourisme et la Californie fait figure d’exemple en matière d’intégration de ces deux concepts.
- Le sport est une activité qui fédère. Balade en vélo (ancien monde) ou en segway (nouveau monde) sur les routes du vin sont des formules qui se développent un peu partout dans le monde. Des formules golf & vin permettent d’attirer un tourisme international haut de gamme.
- Le divertissement : terrasses ensoleillées ou escape games au milieu des vignes pour des moments familiaux.
- La culture : un musée du vin ou de l’histoire du vin pour attirer les clients au profil plus « intellectuel ». Bordeaux et Adélaïde en Australie l’ont bien compris, qui ont conçu leur offre oenotouristique autour de leurs puissantes Cités du vin. Dans un autre registre, Boston a trouvé la formule avec son festival du vin devenu célèbre.
Toutes ces formules sont autant de moyens de rapprocher du monde du vin des touristes qui n’y seraient pas venus par passion.
Chasser en meute dans une filière intégrée au niveau régional
La réussite locale du secteur oenotouristique ne peut pas reposer uniquement sur quelques vignerons, aussi actifs et imaginatifs soient-ils en la matière. Pour attirer et fidéliser un nombre significatif de touristes, c’est la région entière qui doit développer une offre oenotouristique structurée.
L’initiative doit être soutenue par les pouvoirs publics, ne serait-ce que pour financer les infrastructures de base. Réseaux de transport, parking, toilettes publiques, signalisation routière, circuits oenotouristiques, les fameuses routes du vin. La gestion d’un flux important de touristes ne s’improvise pas !
L’ensemble des acteurs des secteurs touristiques et viticoles locaux doivent être mobilisés. Une offre d’hôtellerie et de restauration large et variée est nécessaire pour proposer un service global.
On le comprend, l’enjeu régional consiste à s’appuyer sur une force politique suffisamment crédible pour fédérer les acteurs locaux dans un écosystème intégré.
Attirer de nouvelles cibles par une stratégie digitale ambitieuse
Si le tourisme viticole ne ciblait que les amateurs de vins avisés, son poids se réduirait à peau de chagrin. Pour passer à l’échelle, les acteurs du secteur doivent aussi bien s’adresser aux connaisseurs, aux épicuriens, aux explorateurs qu’aux néophytes.
Cette ouverture est également stratégique car elle permet d’amener à la consommation régulière de vin de nouvelles catégories de consommateurs. Pour atteindre ces nouveaux clients, proposer une offre de services élargie dont nous venons de parler est nécessaire mais non suffisant. Il est également important de déployer une stratégie marketing agressive.
La campagne publicitaire organisée par « Tourism Australia » constitue un bel exemple d’investissement marketing ambitieux. Elle impressionne par son style : une pub déjantée à la Crocodile Dundee. Mais aussi par son budget : 36M$ pour une diffusion ciblant pas moins de 100 millions d’américains à l’occasion de la finale du Super Bowl ! Regardez comment le tourisme viticole prend toute sa place dans cette stratégie publicitaire.
Si les pubs du Super Bowl restent mythiques, nul doute qu’une stratégie marketing ambitieuse passe aujourd’hui d’abord par une présence digitale forte !
Dans l’objectif de recruter de nouveaux clients, l’utilisation ciblée des réseaux sociaux et des plateformes globales est un passage obligé. Il s’agit d’en maîtriser les codes, ce qui n’est pas le métier des vignerons. Les acteurs du secteur de l’œnotourisme doivent donc se faire accompagner de professionnels du marketing en ligne.
Cette stratégie digitale ne doit pas s’arrêter à l’acquisition de nouveaux clients. Elle doit se prolonger pendant et après le séjour oenotouristique pour augmenter l’intensité de l’expérience et fidéliser les clients.
Au cours de la visite, de nombreuses régions investissent dans des applications mobiles proposant des parcours immersifs. Les plus innovantes optent pour des circuits en réalité augmentée. Géolocalisé, le touriste reçoit de l’information pédagogique sur le domaine, l’appellation, la parcelle, son cépage, l’histoire. Il s’agit de construire ce que les marketeux appellent un story telling numérique.
En aval du séjour, les outils numériques permettent de faire durer l’expérience en donnant des nouvelles du domaine et de l’appellation. Les réseaux sociaux sont là encore particulièrement adaptés à cette approche multimédia et interactive.
Une approche traditionnelle en Europe, un show du nouveau monde
On peut résumer la différence entre la culture oenotouristique du nouveau monde et celle de l’ancien monde à la personne qui vous servira votre verre de vin. Dans les pays du nouveau monde, le touriste est accueilli par un professionnel du tourisme. Cherchez le vigneron dans la Napa valley californienne ou la Barossa Valley australienne, vous ne le trouverez pas !
A contrario, c’est le vigneron, sa femme ou éventuellement son maître de chai qui vous recevra dans un grand nombre de domaines européens. Il insistera pour vous parler de ses vins et vous les faire déguster. Mais ce n’est en aucun cas un expert du tourisme et sorti de son domaine, il ne saurait vous vendre une expérience globale.
D’une manière générale, le nouveau monde revendique une approche « business ». Dégustations payantes, professionnels rompus à la vente, infrastructures commerciales proposant autant de goodies que de vins… Cette offre centrée sur le client propose une expérience festive propice à la dépense.
Je n’oublierai jamais ma visite de la casa del Bosque dans la Casablanca valley, au Chili. Une gigantesque terrasse verdoyante vous accueille dans une ambiance musicale. Pas le temps de vous assoir sur un transat que vous êtes pris en charge par un guide touristique. Après être passé à la caisse, il vous emmène faire le tour de la propriété en vous racontant un discours bien rodé, rythmé et truffé de bonnes petites blagues. Une dégustation du vin de la propriété conclut le tour, qui est passé en un éclair. Retour sur la terrasse qui s’anime, en prévision de la soirée qui commence.
L’offre oenotouristique de la vieille Europe est bien différente ! Peu structurée, elle valorise sa principale force : sa longue tradition viticole. Les dégustations, gratuites, sont animées par le vigneron, intraitable lorsqu’il commence à parler de son vin. Entre deux passages dans la vigne, il s’adresse à ses clients comme un pianiste salue son public. A ce jeu-là, le plus performant est le domaine qui paraîtra le plus authentique.
Sans renoncer à son authenticité, le secteur viticole européen devrait s’inspirer des succès du nouveau monde pour développer son activité. C’est en regardant ce qui marche ailleurs que le secteur arrivera à transformer l’expérience qu’il offre à ses clients et à gagner de nouveaux fans.
Les chiffres de l’œnotourisme mondial
Pour tenter de chiffrer le poids économique du secteur, et partant de la définition de l’œnotourisme donnée en introduction, nous considérons que le secteur génère deux types d’activités économiques :
- L’ensemble des activités d’un voyage dont la découverte de l’univers du vin est la principale motivation.
- Les activités liées au vin et seulement celles-ci, dans le cadre d’un séjour touristique dont elles ne sont pas la principale motivation.
Commençons par trois chiffres clefs, qui me semblent enthousiasmants :
- En moyenne, une propriété viticole augmenter son chiffre d’affaires de +20% en proposant des services oenotouristiques. Ce chiffre peut aller jusqu’à 33% dans certaines propriétés du nouveau monde !
- Le secteur connaît une croissance soutenue de +5% à +10% par an, en fonction des pays (en faisant abstraction du Covid19 en 2020),
- En Europe, les experts estiment que seul 20% de la manne potentielle de l’activité oenotouristique est aujourd’hui exploitée.
Pays | Nombre annuel d'œnotourismes (millions) | Poids économique (milliards €) |
---|---|---|
France | 10 | 5.2 |
Italie | 5 | 2.5 |
Espagne | 3.6 | |
Allemagne | 7.3 | 5 |
Etats-Unis | 15 | 15 |
Australie | 1 | 5.1 |
Argentine | 1.5 | 1.4 |
Afrique du Sud | 0.5 | |
Nouvelle Zélande | 0.22 | 0.75 |
Canada | 3.7 | 1.4 |
Les Etats-Unis, qui sont arrivés plus tard que l’Europe à la viticulture, mais précurseurs dans le tourisme viticole, sont donc le plus gros marché du secteur. Ils ont su se positionner plus large de « gastro-tourisme », cher aux américains.
D’une manière générale, l’œnotourisme du nouveau monde est un marché mature, essentiellement tiré par le marché domestique. Bien plus ouvert aux touristes internationaux (42% d’œnotourismes étrangers en France), l’œnotourisme européen se structure. Il présente encore un fort potentiel de valorisation.
Et si l’œnotourisme devenait le vecteur qui sortira les industries touristiques et viticoles de l’ornière à la fin de l’épisode Covid ?
Avec ou sans ketchup les frites.. c’est $1 la portion.. oui, on connait les astuces de ventes des étasuniens.. Mais, il n’y a pas que du mauvais à vendre quand la marchandise est bonne ! Je me comprends..