Un de mes amis espagnol m’a récemment lancé un défi. Originaire de la Rioja, cette grande région viticole du nord de l’Espagne, il semblait convaincu que le rapport qualité-prix des vins espagnols était inégalable. Nous nous sommes donc mis d’accord que seule une dégustation à l’aveugle pouvait nous départager. En fait de départager, il s’agissait surtout de confirmer ou non sa théorie. Ma volonté de relever ce défi tenait plus à la perspective d’organiser une dégustation qu’à une véritable conviction de ma part sur le sujet.
Nous nous sommes donc mis d’accord sur le scénario de la dégustation :
- Chacun de nous devait sélectionner 3 vins rouges. 3 vins espagnols pour Javier, 3 vins français pour ma part.
- Chacun de ces vins devait satisfaire 2 conditions : être disponible en grande distribution (locale ou en ligne) et coûter moins de 11€ la bouteille de 75 centilitres
- Ces vins devaient être présentés à la dégustation, à l’aveugle, à un groupe d’amis qui allaient les classer. Parmi ceux-ci des amateurs plus ou moins confirmés, des français, allemands et espagnols, des hommes et des femmes. Bref, un juré représentatif du consommateur moyen de vins du monde, dont le seul point qui leur été commun était d’être amis et d’aimer les bonnes choses.
Car c’est bien ça l’enjeu de ce défi: se mettre dans la peau d’un consommateur européen « normal », au budget normal, jouissant d’une culture viticole normale, et trouver pour lui les meilleurs opportunités.
Après une ouverture solennelle des bouteilles, nous avons débuté la soirée en tirant au sort leur ordre de dégustation des six vins retenus :
- Bodegas Fina La Emperatriz – Rioja Alta, Crianza 2010, que l’on trouve ici
- Bodegas Izadi – Rioja Cranza 2011, que l’on trouve ici
- Domaine du Grollet – Family Reserve – 2008 – Vin de pays Charentais, que l’on trouve ici
- Bodegas Luis Canas – Rioja Crianza 2011, que l’on trouve ici
- Château Larose-Trintaudon – Haut Médoc Cru Bourgeois – 2012, disponible dans la grande distribution (Carrefour, pour ne pas le nommer)
- Comte de Montestruc – Pessac-Léognan – 2012, disponible dans la grande distribution (Intermarché, pour ne pas le nommer)
L’objectif de cet article est de partager quelques unes des conclusions originales de cette expérience.
Une dégustation de vins français et espagnols qui se réduit à un match Bordeaux – Rioja
Première surprise, les trois vins espagnols représentés sont de la Rioja, et deux des trois vins français de Bordeaux. Ce phénomène mérite qu’on s’y attarde. Trois explications me viennent à l’esprit :
- L’enjeu de cette dégustation a amené les décideurs à se rabattre sur des valeurs sûres. S’il s’agissait de classer les meilleurs rapports qualité-prix, pourquoi ne pas essayer un côtière de Nîmes, ou un vin de Loire, dont les qualités sont approuvées et dont les prix restent corrects ? De même côté espagnol, Javier aurait pu jouer la carte de la diversité en misant sur un vin castillan ou de la Ribera del Duero. Certes ces vins sont peu représentés dans leur diversité dans la grande distribution, mais on les trouve après tout sans problème en ligne. L’enjeu a eu raison de la créativité et de la diversité.
- L’audience, qu’il a fallu cibler. Majoritairement représentés dans le jurés, les allemands apprécient davantage les vins rouges légers, sur le fruit, que les vins tanniques, charpentés ou corsés. Exit donc les côtes du Rhône, dont le rapport qualité-prix aurait pourtant eu ces chances !
- La contrainte du prix a également simplifié le travail de filtrage : les vins de Bourgogne auraient été de parfaits représentants de ce que les vignerons français sont capables de produire de mieux. Ils auraient plu aux palais allemands, qui plus est. Malheureusement il est toujours difficile de trouver des Bourgognes compétitifs à moins de 11€. Probablement que la petite surface du vignoble et sa renommée internationale tirent les prix vers le haut.
Les rassurants cépages Merlot et Tempranillo ont donc écrasé cette dégustation.
Des vins jeunes
Les trois vins espagnols affichent le terme « Crianza » sur leur étiquette. Crianza est l’une des appellations de la classification espagnole. Elle s’applique aux vins mis en bouteille dans sa troisième année, après au moins 10 mois passés en fûts de chêne.
Les appellation supérieures à la Crianza sont l’appellation « Reserva » (au moins un an en fût de chêne) et « Gran Reserva » (au moins deux ans en fût de chêne).
D’une manière générale, et pour les mêmes raisons de contraintes sur le prix, ce sont essentiellement des vins jeunes qui ont été présentés : 2010, 2011, et 2012.
A noter l’exception remarquée du Domaine du Grollet, un vin de pays charentais de 2008, dont on a déjà parlé sur ce blog ! Issu d’un vignoble relativement récent qui avance vers l’AOC, ces vins sont vinifiés avec talent sur des terroirs reconvertis qui produisaient auparavant l’ugni blanc, à partir duquel était distillé le Cognac. En attendant l’AOC, ils se vendent toujours à des prix très abordables.
L’influence de l’ordre de dégustation
Hasard ou non, il est intéressant de noter que l’ordre de la dégustation, qui fut tiré au sort en bonne et due forme, a eu une influence non négligeable sur le résultat, car les vins dégustés sur la fin ont globalement reçus de meilleures notes que les premiers.
Si j’avais dû deviner, j’aurais dit qu’au contraire, les derniers vins étaient défavorisés, en raison de la déformation des senses et des palais au fur et à mesure de la dégustation. D’autant que – il faut le préciser – l’usage de crachoirs, un instant considéré, fut poliment décliné par tous.
Vivino s’est imposée comme l’appli de référence
Durant la dégustation, une gagnante s’est imposée auprès de tous : l’application Vivino.
Cette application mobile n’est ni plus ni moins qu’un réseau social des amateurs de vin à travers le monde. Elle permet de scanner les vins à partir d’une photo de leur étiquette, et à partir de là, de récupérer des informations (prix, accords met-vins, commentaires, notes, …), de les commenter, et de les partager avec son réseau. Comme beaucoup d’autres applications, elle permet également de constituer sa cave virtuelle (dans la version payante). Elle permet enfin de localiser les points de vente et de distribution aux alentours.
Rien de très original, me direz-vous. D’autres applications mobiles proposent le même services (Tagawine, Wine and Cellar, …). Certes, mais cette application présente deux avantages majeurs :
- La base de données des vins qu’elle contient est impressionnante. Il faut aller chercher des vins tirés dans les coins ou absents de la grande distribution pour la mettre à mal
- L’efficacité de la recherche de vin via le scan de l’étiquette. Outre le fait que l’appli reconnaît 80% des vins du premier coup, pour les vins sur lesquels elle échouerait, une reconnaissance manuelle est faite, et le résultat vous est renvoyé dans les 10 minutes. A tester donc !
Un gagnant et une surprise
Les résultats étant serrés et subjectifs, je me contenterai de partager le nom du gagnant, et d’une agréable surprise.
Le système de vote utilisé fut celui des médailles : trois médailles (or, argent et bronze) doivent être décernées par chaque membre du jury à trois des six vins dégustés. On compte trois points pour une médaille d’or, deux pour l’argent, et un pour le bronze.
Le discret Comte de Montestruc, un Pessac-Léognan 2012 remporte la palme, avec trois médailles d’or et une d’argent. C’est donc une victoire assez nette de ce vin d’Andre Lurton très équilibré, aux arômes du fruits rouges bien mûrs et de réglisse. Un vin que l’on trouve facilement dans la grande distribution autour de 9€ la bouteille.
La surprise vient de la Bodegas Izadi et de son vin Crianza 2011. Très élégant, ce vin n’est pas dénaturé par les tanins de la barrique, c’est donc le fruit qui domine et ses notes épicées, de poivre, qui laissent à penser que ce vin présente un bon potentiel de garde. Il se négocie aujourd’hui autour de 11€. Pas facile à trouver en France, il faut le commander en ligne.