Dans l’état de l’Orégon, très nature, la forêt a fait de la place à quelques milliers d’hectares de vignes. Après que des pionniers aient repéré, dans les années 1960, les nombreuses similitudes que présentait la région avec le vignoble bourguignon.
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L’histoire du vin Californien, une histoire à l’américaine
La scène se déroule le 24 mai 1976, à Paris, hôtel Intercontinental. Coup de tonnerre dans le monde du vin. Lors d’une dégustation à l’aveugle, le jury, composé de 11 membres dont 9 français, donne la victoire à des vins Californiens : le Château Montelana 1973…
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L’histoire du vin Californien, une histoire à l’américaine
La scène se déroule le 24 mai 1976, à Paris, hôtel Intercontinental. Coup de tonnerre dans le monde du vin. Lors d’une dégustation à l’aveugle, le jury, composé de 11 membres dont 9 français, donne la victoire à des vins Californiens : le Château Montelana 1973 arrive devant un Meursault pour les vins blancs. Le Napa Cabernet-Sauvignon Stag’s Leap Wine Cellars 1973 devant un Château Mouton-Rothschild pour les vins rouges. Cette date marque la naissance médiatique des vins Californiens.
Aujourd’hui, si la Californie était un pays, ce serait le 4ème producteur mondial de vin, derrière la France, l’Italie et l’Espagne. 95% des exportations américaines de vin sont produites dans cet état. Il est d’ailleurs étonnant de remarquer à quel point l’histoire du vignoble Californien est à l’image de l’histoire des Etats-Unis d’Amérique. On retrouve dans la viticulture Californienne, les valeurs fondatrices de la civilisation américaine : la résilience, la créativité, le business. Ajoutons à cela la « qualité ».
La genèse du vignoble californien, une histoire à l’américaine
C’est au début du XVIème siècle que les Espagnols, colonisant le Sud et l’Est de ce qui deviendra les Etats-Unis commencent à planter et à travailler la vigne. En 1769, le Royaume d’Espagne envoie des moines franciscains créer des missions sur la côte ouest, dans l’espoir de convertir les communautés indiennes locales. Et qui dit moine, dit vin. Au moins pour le vin de messe, si ce n’est pour assouvir un penchant que tout le monde leur reconnaît pour la bonne chair. L’une de ces missions s’installe à Sonoma en 1823 et plante les premières vignes à quelques encablures de ce qui deviendra bientôt la Napa Valley.
Se produit alors un événement qui va s’avérer décisif pour la suite : en 1848, on trouve de l’or à Sacramento, à une centaine de kilomètres de Sonoma. Des milliers de colons européens se lancent dans la ruée vers l’or, et parmi eux, des vignerons européens qui ont abandonné leur domaine pour venir faire fortune en Amérique. Certains se rendront rapidement compte qu’il y a plus à gagner à relancer leur activité première dans ces vallées qui se prêtent à la culture du vin plutôt que de jouer aux cow-boys avec un tamis dans les mains. L’ouverture de la ligne de chemin de fer transcontinentale, dont le terminus ouest se situait à Sacramento, en 1869 va accélérer ce mouvement. Les migrants européens arrivent avec leurs cépages et leurs techniques. Les exploitations viticoles et les « wineries » se multiplient. Les vallées plantées de vigne s’étendent progressivement jusqu’à la frontière mexicaine.
La machine est lancée. Mais l’histoire de l’Amérique est faite de haut et de bas. Ainsi en est celle de son vin, victime d’un attentat dont il va mettre plusieurs décennies à se remettre : le phylloxéra. Cet insecte qui s’attaque à la vigne et provoque la mort du cep en quelques années apparaît pour la 1ère fois en Californie en 1873, et va décimer la majeure partie du vignoble. Mais les Américains ne sont pas du genre à se laisser abattre. Ils replantent.
[caption id="attachment_1982" align="alignright" width="300"] La prohibition en Californie interdira toute production, transport, importation et exportation de vin de 1920 à 1933[/caption]
Les affaires reprennent à peine qu’un nouveau coup va accabler les vignerons: la prohibition, qui interdit, entre autres, toute production d’alcool en Californie à partir de Janvier 1920. Elle durera jusqu’en 1933, année où Roosevelt l’abolit. Espérons que la prohibition du foie gras par la Californie, actée en 2012, ne durera pas aussi longtemps ! Il est intéressant de noter que les américains n’apprennent pas toujours de leurs erreurs :).
Par la suite, la crise économique de 1929, puis la seconde guerre mondiale vont continuer de limiter la capacité de production du vin jusqu’au renouveau des années 1960. Portée par l’essor de la mécanisation, la croissance économique et le développement de l’intérêt des Américains pour le vin, une nouvelle période de prospérité s’ouvre pour le vin Californien.
Dans les années 1990, un ultime coup du sort va contribuer à faire de la viticulture Californienne ce qu’elle est aujourd’hui : l’insecte du Phylloxéra mute et revient attaquer les vignes des vallées Californiennes plus de 100 ans après son dernier passage. Alors que les nouveaux greffons sont sensés résister à l’insecte, celui-ci va muter si bien que les ceps ne lui résisteront pas. Loin de se désespérer, les vignerons californiens en profitent pour replanter sur de nouvelles bases, en tenant compte des derniers standards œnologiques pour rebondir.
Pearl Harbour, 11 septembre … tout ce qui ne tue pas un américain le rendrait-il plus fort ? En tout cas, il est de bonnes raisons de penser que dans les Sonoma et Napa valleys, le meilleur reste à venir !
Le vin Californien, c’est de l’American way of life en bouteille
Si la Californie est une région viticole si intéressante à étudier, c’est que les vignerons y ont développé la vigne et le vin sans aucune « contrainte traditionnelle » telle qu’on peut en connaître en Europe. En France, et partout en Europe, les méthodes héritées de père en fils depuis des générations ont structuré la façon de faire du vin. Le modèle traditionnel est donc de mise, qui laisse une place limitée à l’innovation. Les vignerons californiens ont pu eux faire émerger une viticulture partie de rien, façonnée « à l’Américaine ». Créativité, innovation, ouverture d’esprit sont les fondements du modèle américains, que l’on retrouve dans leur façon de faire du vin ! Ce n’est pas un hasard si les vignobles californiens côtoient la Silicon Valley, centre névralgique de l’innovation High Tech mondiale, ou encore Hollywood, situé à peine plus loin.
Une des caractéristiques originales de la viticulture californienne est sa séparation de la viniculture : les exploitations viticoles, qui produisent le raisin en travaillant la vigne sont très souvent séparées des « wineries » qui vinifient. Ces dernières achètent donc le raisin aux premières : ce n’est plus le vigneron qui fait le vin. Cette organisation présente au moins un avantage : il est plus simple de se lancer dans la vinification, avec un capital limité. L’industrie y gagne en dynamisme et en souplesse d’investissement.
Les propriétaires de wineries ont par ailleurs très tôt compris le potentiel économique d’intégrer leur produit dans le cadre de l’industrie gastronomique, autre spécialité californienne, elle-même étroitement liée à l’industrie du tourisme. Ainsi les principales wineries de la Napa Valley sont-elles intelligemment situées en bordure de la route 29 qui traverse la vallée du nord au sud, et accueillent les touristes dans des salles de dégustation aux mécanismes bien rodés, à grands renforts d’hôtesses et de marketing assumé.
Plus surprenant encore pour nous français, dont le gouvernement a interdit toute publicité du vin à la télévision et au cinéma (Loi Evin, 1991), les spots publicitaires décalés, voire carrément osés diffusés à la télé ou sur internet. Un exemple, celui de Slo Down Wine, vous parlera sûrement mieux qu’un long discours : (attention : ne pas ouvrir ce lien au boulot)
Francis Ford Coppola, un as du Marketing du vin
Un bel exemple de cette approche marketing du vin est celui des deux propriétés de Francis Ford Coppola :
Au beau milieu de la Napa Valley, le premier domaine est le plus prestigieux. Coppola l’achète en 1975 et le renomme Rubicon Estate. Il s’entoure des meilleurs œnologues pour y concevoir des vins de grande classe, mêlant son héritage italien au nom de ses crus, et l’influence française pour chercher à renouer avec le terroir. Ces vins ciblent l’excellence.
L'autre propriété, appelée " Francis Ford Coppola Winery" est située dans la Sonoma Valley. Elle produit des vins abordables associés au nom du célèbre réalisateur du « parrain ». Celui-ci l'a conçu comme une attraction touristique : musée du cinéma, piscine, restaurant. Un véritable parc d’attraction taillé sur mesure pour la classe moyenne américaine. Francis va même jusqu’à vendre une cuvée dédiée à sa fille Sophia sous forme d’un pack de 4 canettes assorti d’une paille ! Il ne s’agit aucunement d’un (Virgin) suicide marketing, ni d’un mouvement Bling Bling (Ring). C’est ce qu’on appelle de l’innovation marketing et qui paraît difficilement imaginable en Europe, sous peine de se faire tomber dessus par tout ce que notre pays compte de pointures dans le monde du vin, dont le talent n'a d'égal que le conservatisme.
[caption id="attachment_1985" align="aligncenter" width="300"] la Francis Ford Coppola Winery, un véritable parc d'attraction pour la classe moyenne américaine[/caption]
L’encépagement Californien, héritage historique et argument marketing
Pour des raisons historiques, la Californie n’a que peu développé le concept d’encépagement de terroir. C’est-à-dire de planter sur un terroir donné le cépage qui va y révéler le plus son potentiel. C’est que lorsque les colons européens plantent leurs vignobles dans les Sonoma et Napa Valleys au XIXème siècle, ils privilégient naturellement les cépages qu’ils connaissent. Aujourd’hui toujours, les cépages qui font la réputation de la région sont principalement les cépages nobles européens :
Pour les vins rouges : le Cabernet-Sauvignon, le Merlot, le Pinot Noir, la Syrah…
Pour les vins blancs : le Chardonnay, le Chenin, le Sauvignon, le Riesling…
Un cépage cependant incarne la typicité du terroir californien : le Zinfandel. Bien que lui aussi d’origine européenne – croate pour être précis -, il a probablement été importé par les colons italiens qui le connaissaient de longue date dans le sud de l’Italie sous le nom de « Primitivo » - il couvre aujourd’hui 10% du vignoble Californien et est vinifié aussi bien en vin blanc, en rosé et en vin rouge. C’est dans les vins rouges des régions arides de la Sonoma Valley qu’il révèle le mieux son potentiel tannique et ses arômes de fruits rouges et d’épices.
Par ailleurs, ces cépages ne sont que rarement assemblés après la vinification. Les vins californiens sont en effet majoritairement des vins de cépages (contrairement aux vins « assemblés » qui font la réputation des Bordeaux et des Côtes du Rhône par exemple). Si ces vins sont prisés des consommateurs américains, c'est aussi parce qu'il est plus facile de marketer un vin sous le nom "Merlot" ou "Cabernet-Sauvignon" plutôt que sous un nom issu d'une classification obscure et compliquée (comme "Cru bourgeois" en bordelais). D'autant que ces noms de cépages sont à consonances européennes, ce qui leur donne un certain charme aux yeux des américains, qui restent sensibles à la dimension noble du produit.
Oui au marketing qui rend le vin populaire, non au business qui le rend mauvais !
Si la Californie produit de grands vins qui jouent dans la même cour que nos Grands Crus et donnent à la région un rayonnement mondial, il n’en reste pas moins que la souplesse de la législation (voir encadré plus bas) et l’industrialisation assumée du vin explique la qualité plus que discutable d'une grande partie de la production.
Le niveau des rendements, qui ne sont pas réglementés aux Etats-Unis, sont un bon exemple de cette dérive business. Ils peuvent atteindre 100hl/ha en Californie, là où nos vins de pays sont limités à 90 hl/ha, l’AOC « Bordeaux » rouge à 60 hl/ha et le domaine de la Romanée Conti à 35hl/ha par exemple.
Couplé à la pratique répandue de l’arrosage des vignes (par brumisateur, aspersion ou goûte à goûte), les rendements élevés diluent la quantité de sucre et de matière sur un nombre trop élevé de grappes, si bien que le moût qui en résulte est bien moins chargé en matière «riche » qui donne ses arômes au vin. :
De même, l’ajout de tanins artificiels tend à produire des fins uniformes qui perdent le goût de leur terroir. Il se fait par ajout de copeaux de bois pendant la période de vieillissement et permet de donner des arômes boisés … ou de cacher les arômes indésirables. S’il est pratiqué un peu partout dans le monde, son utilisation est banalisée en Californie.
Quelques éléments de la réglementation de la viticulture américaine
Pays libéral par nature, les Etats-Unis ont défini une législation minimaliste pour encadrer leur viticulture et son étiquetage :
Les AVA, American Viticultural Area, correspondent à nos Appellations d’Origine Contrôlée en France. Pour pouvoir afficher le nom de l’AVA sur l’étiquette d’un vin, il suffit que 85% des raisins utilisés dans la vinification de ce vin proviennent de l’AVA.
Le cépage : pour pouvoir afficher le nom du cépage sur l’étiquette d’un vin, il suffit que 75% des raisins utilisés dans la vinification de ce vin soit issu de ce cépage.
Les millésimes : pour pouvoir afficher le nom de l’année sur l’étiquette d’un vin millésimé, il suffit que 95% du vin soit effectivement issu de ce millésime.
On notera que la réglementation fait montre d’une grande « souplesse » et ne contraint pas les cépages à utiliser dans une zone d’appellation donnée, ni les procédés de vinification. Si cette souplesse n’empêche en rien les vignerons scrupuleux de produire des grands vins, on comprend mieux la piètre qualité des vins les plus bas de marché et on peut s’interroger sur le manque de transparence et de traçabilité qui en résulte.
Je conclurai cet article pompeux sur un point qui a son importance à mes yeux : si les américains savent effectivement faire du vin, il leur reste à apprendre à le boire. Je ne parle pas ici de leur capacité à déguster ni même à apprécier un vin, mais de tout simplement savoir tenir son verre de vin comme il convient. En effet, on voit trop souvent dans les films et séries, ces américaines soi-disant raffinées qui tiennent leur verre de vin à pleine main par le calice, là où un minimum d’éducation leur aurait appris à le tenir par la jambe.
D'abord parce que poser ses cinq doigts sur la partie supérieure du verre le salit, mais également parce que ça fait newbie. Et je ne parle même pas de l’impossibilité dans cette position de faire tourner le verre pour oxygéner le vin, ou d'apprécier les nuances de couleur de sa robe.
Merci donc au Château Loisel pour ce petit schéma explicatif :)