La biodynamie, retour aux sources ou sorcellerie ?

Les principes de l’agriculture biodynamique intriguent par leur dimension ésotérique, voire sectaire, basée sur un raisonnement empirique. Alors que faut-il en penser ? Sorcellerie prônée par une bande d’originaux bobos écolos ? Ou retour aux sources qualitatives en réaction à une viticulture conventionnelle peu scrupuleuse de sa durabilité, et produisant des vins de plus en plus standardisés ?

Une branche de l’agriculture biologique

Si la viticulture biologique (1) définit des règles qui visent à une production respectueuse du sol et de l’environnement en général, la viticulture biodynamique va plus loin en considérant que le sol est un organisme vivant à part entière. Une faune microbienne et bactérienne l’anime, qui en nourrissant la vigne, va structurer le vin. Le sol, en tant que source de nutrition de la vigne doit être protégé, et le sol en tant que terroir qui fait la typicité d’un vin, doit être dynamisé.

La différence se voit à l’oeil nu, et à l’odeur !

L’agriculture biodynamique a été théorisée en 1924 par le philosophe et anthroposophe autrichien Rudolf Steiner. Depuis 30 ans, son développement s’accélère partout dans le monde.

Contrairement au label « agriculture biologique » qui ne régit que les règles du travail de la vigne (viticulture), les labels biodynamiques s’étendent également à la phase de vinification. On peut donc parler de « vin biodynamique », alors qu’on ne peut parler que de « vin issu de la viticulture biologique ».

Un mélange de bon sens et de mystère

Si certains principes de l’agriculture biodynamique tiennent du bon sens, d’autres revêtent un aspect pour le moins troublant…

L’enherbement permet d’entretenir l’activité microbienne

Labour dans une vigne en biodynamie

Entre les rangs de vigne, le sol ne doit pas rester nu. Le développement de la flore sauvage (mauvaises herbes, orties, fleurs…) est encouragé , car cette végétation se fait le nid d’une activité vivante propre à protéger la vigne (insectes, …) et à enrichir son sol (champignons, vers de terre…). Il faut cependant dégager le cep de cette activité végétale qui le concurrence : le labour est opéré manuellement, par exemple à l’aide d’une charrue, tirée par un cheval (pour ne pas tasser le sol) ou un tracteur. Et bien sûr pas de désherbant chimique !

Jusque-là, rien de choquant : il s’agit bien d’un retour à la nature que chacun peut comprendre.

Les « préparations » permettent de traiter la vigne préventivement, sur le modèle de la médecine homéopathique

Préparation 500 : un concentré de vie microbienne

Rudolf Steiner, puis d’autres après lui, ont défini des préparations pour le moins curieuses, à appliquer dans le sol à dose homéopathique. La bouse de corne, dite « préparation 500 », à base de bouse de vache stockée tout l’hiver dans une corne de vache est un concentré de vie microbienne qui doit être réparti dans la vigne à hauteur de quelques grammes par hectare (100m sur 100m !). La silice de corne, une préparation minérale dite 501, est complémentaire de la 500 et doit être pulvérisée sur les feuilles de vigne au printemps. D’autres compostes, à base de camomille, orties, osier sont intégrés dans les fumiers qui seront répartis dans les rangs.

Ces méthodes, qui ne sont expliquées par aucun raisonnement scientifique, sont à la viticulture ce que l’homéopathie ou l’acupuncture sont à la médecine.

Mais que penser de la préparation 502, à base de mille-feuille pourri dans de la vessie de cerf ? Elle est sensée accélérer la mobilité du soufre et de la potasse dans les sols. Hé oui, selon Steiner, la vessie du cerf est connectée aux forces du cosmos. « Déchaînez-vous, détracteurs aveugles aux lois de la vie ! » vous engueulera Nicolas Joly, ayatollah français de la viticulture biodynamique, en guise de réponse, si vous émettez des doutes.

Le calendrier des semis définit les dates optimales des travaux de la vigne

Maria Thun, une anthroposophe allemande née en 1920, est à l’origine du calendrier des semis qui fait référence dans l’ensemble de la communauté. Après avoir étudié empiriquement, 40 ans durant, l’impact de la position relative de la lune par rapport aux constellations du zodiac sur le développement de la plante, elle défend l’idée d’intégrer l’influence cosmique dans les travaux agricoles.
Elle identifie ainsi des périodes favorables au traitement des racines, d’autres favorables aux feuilles, ou aux fruits. L’épandage de la préparation de silice de corne devra par exemple avoir lieue un « jour feuille » en phase de lune descendante, et avant le lever du jour. Les différentes étapes de la vinification doivent également s’adapter au rythme cosmique.

Aussi ésotérique que ce calendrier puisse paraître, il ne me semble pas absurde : les mouvements des planètes rythment la vie agricole : la terre représente le rythme journalier jour/nuit ; le soleil : le rythme annuel qui définit les saisons; ne manquait plus que la lune qui définit le rythme mensuel.

Si le respect du calendrier des semis ne peut pas nuire à la vigne, si l’influence de la position des planètes est évidente et connue de longue date (par exemple celle de la pleine lune), on peut se demander à quel point l’impact de cette dimension cosmique est bien réel et mesurable.

Au cours de la vinification, le levurage est étroitement réglementé

Les levures sont les catalyseurs de la fermentation du vin. Nombreux sont les vignerons qui, en agriculture conventionnelle, ajoutent des levures issues du commerce pour faire évoluer leur vin dans telle ou telle direction, qui n’est de fait pas celle de son terroir. Il est ainsi fréquent d’ajouter à un jus de mauvaise qualité une levure qui va développer tel arôme lors de la fermentation. Sensible au lien entre un vin et le terroir dont il est issu, la vinification biodynamique interdit le recourt à de telles levures.

« Aider la vigne à faire son travail et ne pas se substituer au travail de la vigne » Nicolas Joly, viticulteur dans la Loire, La coulée de Serrant. Nicolas Joly a raison, et il ne faut en fait pas aller chercher plus loin, ni tenter une approche scientifique, encore moins prétendre que le cerf est le roi de la forêt pour défendre la préparation 502 !
Si les méthodes peuvent parfois paraître alambiquées, il n’en reste pas moins que redonner au terroir tout son rôle dans l’élaboration d’un vin est un renouveau dont il faut se réjouir : l’authenticité et la diversité des vins sont à ce prix.
Ce qui me marque dans cette méthode de production, plus que l’efficacité prétendue de ses techniques, c’est tout ce qu’elle dit sur le vigneron lui-même, sur sa relation à la vigne, et in fine sur son vin.

Et vous ! Qu’en pensez-vous ?

Que représente la biodynamie dans la viticulture mondiale ?

  • 4% des vignerons mondiaux seraient en viticulture biologique, dont un quart en biodynamie (soit 1 %). Ca peut paraître peu, mais c’est sans compter les vignerons dont le travail se rapproche des critères officiels mais qui n’en revendiquent pas le label, par souci de liberté, ou par refus d’en faire un argument marketing ! C’est le cas de Richard Leroy, vigneron dans le Pays de la Loire, dont on parlera dans mon prochain article.
  • Les pays pionniers sont l’Australie, sous l’impulsion d’Alex Podolinsky, disciple de Rudolf Steiner qui émigra en 1947, puis viennent les pays germaniques (Allemagne, Autriche, Suisse) et scandinaves (Suède). A quand les Etats-Unis ?
  • En France, les régions pionnères furent l’Alsace (dès 1925) et le Pays de la Loire, mais tous les vignobles produisent aujourd’hui des vins de renom en biodynamie à l’image de la Romanée-Conti en Bourgogne (6 hectares), ou encore de la Tour Figeac, Grand Cru classé de Saint-Emilion.

L’esprit du vin – le réveil des terroirs

L’idée de cet article m’est venue en regardant le film « L’Esprit du vin – le réveil des terroirs », réalisé par Olympe et Yvon Minvielle, viticulteurs en Gironde. Ce film est un documentaire sur la viticulture en biodynamie. Sur le modèle de l’interview, il fait intervenir des vignerons de différentes régions françaises, dont Nicolas Joly, l’un des leaders de la viticulture biodynamique en France. Michel Serre, philosophe et académicien français est également de la partie. Michel Rolland, oenologue consultant rendu célèbre dans le film Mondovino de Jonathan Nossiter fait aussi une curieuse apparition. www.lespritduvin.org, 15 € à l’achat, 5 € à la location en VOD 48h.

(1) La viticulture biologique, comme l’agriculture bio en général, interdit l’utilisation d’engrais chimiques, pesticides, fongicides et organismes génétiquement modifiés.

Jusque là, il y a 4 commentaires

François

Un peu moins sérieux, mais dans la foulée de cet article: la biodynamie est à Monsanto ce que Linux est à Microsoft: a necessary pain in the ass 🙂

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lebrun henri

petite erreur
Le côte de Nuit Romanée-conti, leurs domaine, ce n’est pas 6 mais juste 1.6 hectare.
C’est un très petit domaine qui ne produit qu’environ 35 HL/hectare. Pour une production moyenne de 45 hectolitres par ans.
Il y a d’autre bourgogne de très bonne qualité, mais plus abordable. (Voir du coté de la côte de Beaune, même si les prix on malheureusement explosé aussi)

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