La viticulture peut-elle afficher un bilan carbone positif ?

L’écoute d’un podcast de l’envert du décor m’a récemment interpelé : le secteur de l’alcool serait à l’origine de près de 1% des émissions de gaz à effet de serre (GES) émises dans le monde !

Différentes études se sont effectivement attaquées au bilan carbone du secteur viticole. Elles convergent pour dire que la production d’une bouteille de vin émet entre 1kg et 3kg de CO2 dans l’atmosphère. Soit l’équivalent de 5km à 10km parcourus en voiture ! Or la particularité de la transformation du climat que nous sommes en train de vivre, c’est que ses futures victimes en sont également souvent l’un des nombreux coupables. La viticulture en particulier participe au changement climatique alors même que, plus que tout autre secteur, elle est extrêmement exposée à ses effets.

Celui-ci perturbe en effet les cycles de la nature. Il endommage les récoltes lorsqu’il se manifeste par des gelées printanières inhabituelles. Il modifie l’expression aromatique des cépages lorsqu’il se manifeste par une hausse des températures. Il altère la structure du vin lorsqu’il prend la forme de pluies abondantes.

Quelles sont les principales sources d’émissions de CO2 dans le travail de la vigne, dans le chai et dans le commerce du vin ? Comment changer notre façon de produire et de consommer du vin pour minimiser son impact sur l’environnement ? Peut-on d’ailleurs imaginer que la production d’une bouteille de vin ait un jour un bilan carbone positif ?

Comment les gaz à effet de serre participent au changement climatique

Les émissions de gaz à effet de serre dans la vigne

Le travail de la vigne représente plus d’un tiers des émissions de GES du secteur viticole mondial. Les principaux postes qui contribuent au bilan carbone sont :

  • La combustion de fuel pour faire tourner les tracteurs et les machines à vendanger
  • Le déplacement des salariés, qui viennent en voiture travailler dans les vignes, qui sont par définition souvent à l’écart des villes
  • L’utilisation de produits phytosanitaires, dont la production et le transport consomment de l’énergie, et dont le simple épandage libère des gaz à effet de serre dans l’atmosphère
  • De manière plus anecdotique, le matériel à base d’aluminium (piquets, fils) et bien sûr l’utilisation de chaufferettes au fuel pour échapper au gel contribuent au bilan

Cette quantification des émissions permet de dégager des pistes de solution pour réduire l’empreinte carbone du secteur. C’est là qu’intervient le débat sur la viticulture biologique. Est-elle plus durable que la viticulture conventionnelle, dans le sens où elle émettrait moins de GES ? Concernant l’utilisation des tracteurs, la réponse est non !

Par définition, la viticulture biologique refuse l’utilisation de produits chimiques de synthèse. Ces derniers sont pourtant plus efficaces pour lutter contre les maladies de la vigne. Ils résistent mieux à la pluie et permettent de minimiser le nombre d’épandages, très consommateurs de fuel, par rapport à l’utilisation de produits chimiques naturels, préférés dans l’agriculture biologique (la bouillie bordelaise par exemple).

Parmi les pistes « facilement envisageables » d’amélioration du bilan carbone, on identifie donc naturellement :

  • La modernisation de la flotte de tracteurs, moins énergivores, voire électriques
  • Le passage aux vendanges manuelles, d’autant qu’elles sont complétement compatibles avec le développement qualitatif du vin
  • L’utilisation raisonnée de produits phytosanitaires, dès lors qu’ils permettent de limiter le nombre de passages du tracteur dans les rangs

Les émissions de gaz à effet de serre dans le chai

Vous serez surpris d’apprendre que la transformation du vin dans le chai ne représente qu’une petite partie du bilan carbone du secteur viticole. Les deux principaux postes d’émission sont:

  • L’énergie liée au fonctionnement du matériel dans le chai (pressoirs, cuves thermorégulées, isolation des bâtiments…). Dans les pays où l’électricité est produite à partie d’énergie non-fossile, cette ligne peut être très réduite.
  • Le dioxyde de carbone libéré par la réaction de fermentation alcoolique. On estime qu’un hectare de vigne produit 7 tonnes de raisin, dont la fermentation du moût produit 1 tonne de CO2, soit 10% des émissions générées par la production d’une bouteille de vin !

Ces émissions liées à la fermentation pèsent donc lourd dans le bilan carbone du secteur. Elles correspondent d’ailleurs assez logiquement au CO2 fixé par la vigne par photosynthèse. Or elles sont très localisées et relativement facilement « neutralisables ». Pour éviter qu’elles ne s’échappent dans l’atmosphère, plusieurs procédés existent. Leur principal problème reste l’investissement qu’ils nécessitent (compter ~100 000€). Ces investissements ne sont rentables que durant la courte période de fermentation, soit quelques semaines par an. Le CO2 ainsi capté peut cependant être revendu sur le marché carbone. Au prix de 80€ la tonne de CO2, il faudrait 125 ans à une exploitation de 10ha pour rentabiliser l’équipement ! La solution réside donc dans la mutualisation de ces infrastructures entre plusieurs domaines.

Les émissions de gaz à effet de serre dans le verre

Figurez-vous que plus de la moitié des émissions de CO2 du secteur viticole est générée après la production même du vin ! Entre le chai et votre verre, les étapes énergivores de conditionnement et d’expéditions plombent le bilan :

  • Le packaging du vin dans une bouteille de verre : la conception à haute température de la bouteille et son transport constituent de loin le principal poste d’émission de GES
  • Le packaging secondaire en carton des bouteilles de vin
  • L’utilisation de bouchons en plastique, bien que ce poste soit relativement anecdotique
  • Le transport de la bouteille entre le chai et le client final
  • L’énergie utilisée dans le stockage du vin en cave pour sa distribution et son vieillissement, lorsqu’il s’agit de caves à vin non naturelles

Cette analyse permet encore d’identifier des pistes pour améliorer le bilan carbone dans la distribution du vin :

  • Une réflexion sur le packaging est clairement à mener. On voit d’ailleurs apparaître de nombreuses initiatives autour du vin en vrac, qui revient en grâce !
  • Le recyclage des bouteilles en verre, voire la mise en place d’un système de consigne apparaissent nécessaires à la pérennité du secteur. Un tel système de consigne existe déjà en Allemagne, preuve qu’il est possible et pérenne !
  • Alléger les bouteilles en verre, moins coûteuses à produire et à transporter, est également un enjeu. Alors qu’une bouteille de vin vide pesait en moyenne 800g il y a 70 ans, elles pèsent aujourd’hui moins de 500g !
  • Préférer les circuits courts ou l’achat direct au propriétaire pour minimiser l’émission de GES des réseaux de distribution longs et complexes. Des initiatives voient le jour qui vont dans ce sens ! TWIL, Les Grappes pronnent un achat de vin sans intermédiaires, ce qui constitue une solution gagnant (pour le consommateur), gagnant (pour le vigneron), gagnant (TWIL et les Grappes 🙂 ) et bien sûr gagnant pour la planète !

Stocker le carbone dans le sol pour compenser les émissions de CO2 ?

Si on regarde les choses de manière très macro, le bilan carbone de la planète terre est simple : la Terre stocke ~3000 milliards de tonnes de carbone :

  • 800 milliards dans l’atmosphère
  • 2 200 milliards dans le sol (plantes, matières organiques, carbone fossile…) et dans les océans

Chaque année, des flux font passer le carbone de l’un à l’autre. Ces flux font état d’un excédent de 4 milliards de tonnes de carbone qui passent dans l’atmosphère. La concentration de carbone augmente donc régulièrement et contribue au changement climatique.

Si la lutte contre le changement climatique passe par la réduction de l’émission des gaz à effet de serre, on comprend que le développement du stockage du carbone dans le sol peut activement contribuer au même résultat. C’est l’objet de l’initiative « 4 pour mille » lancée en 2015 par la France dans le cadre de la COP21.

L’idée est simple : augmenter la fixation de carbone dans le sol des surfaces agricoles de 0,4% (2 200 * 0,4% = 8,8 milliards de tonnes > 4 milliards de tonnes d’excédents des flux sol – air) !

 

C’est la photosynthèse qui permet le mieux de capter le CO2 contenu dans l’air pour le fixer dans les sols. Tous les sols agricoles peuvent donc contribuer à cette augmentation de 4 pour 1000 des stocks de carbone neutralisés : la viticulture aussi ! La viticulture peut être même plus que les autres tant les sols agricoles sont pauvres en matières organiques. Elles contiennent 35 tonnes de carbone par hectare sur les 30 premiers centimètres de sol. A comparer avec les 80 tonnes par hectare contenus par les forêts.

Là où ça devient intéressant, c’est qu’on considère que l’enherbement permanent entre les rangs des vignes permettraient de stocker 0,32 tonne de carbone supplémentaires par hectare et par an ! Soit 0,9% de stockage en plus. Alors certes ce chiffre contribue au-delà de l’objectif de 4 pour mille. Mais si on part du principe qu’un hectare vigne produit en moyenne 7 tonnes de raisin, soit 5300 litres de vin produit, ou encore 7 000 bouteilles, alors l’enherbement permanent permettrait de fixer 50 grammes de CO2 par bouteille. Soit 5% du CO2 émis par la production d’une bouteille de vin.

D’un autre côté, l’enherbement semble être une solution facile à mettre en place, tant est elle également bénéfique au vin. Elle permet d’enrichir le sol, de faire vivre sa biodiversité et d’apporter des nutriments à la vigne. La structure poreuse de la matière organique ainsi fixée présente également des vertus en terme de drainage du sol.

Pour aller plus loin, d’autres initiatives plus ambitieuses peuvent être imaginées. Décomposer les bois issus de la taille de la vigne plutôt que de les brûler permettrait par exemple de fixer davantage de carbone dans le sol et d’autant moins dans l’atmosphère. Planter des haies ou encore favoriser la permaculture sont à envisager pour améliorer le bilan carbone du secteur. Quelques vignerons aventuriers ont commencé à expérimenter dans les vignes la culture d’arbres, de légumineux ou encore d’aromatiques (comme le thym, qui sert de répulsif envers certains insectes indésirables).

Vous l’avez compris, nous sommes encore loin de la neutralité carbone dans le secteur viticole. Mais des changements ambitieux et bien identifiés dans la façon de travailler la vigne, de vinifier le vin, de le conditionner et de le consommer peuvent avoir un impact considérable sur le bilan carbone du vin. Chaque industrie doit se remettre en question pour participer à l’effort face à la menace qui gronde. Souhaitons que l’activité viti-vinicole s’érige en exemple !

Sources :

  • https://www.vignevin-occitanie.com/fiches-pratiques/bilan-carbone-en-viticulture/
  • https://www.infowine.com/intranet/libretti/libretto5363-01-1.pdf
  • https://www.vignevin.com/wp-content/uploads/2019/03/Itin24_BilanCarbone.pdf
  • https://www.oiv.int/public/medias/4523/publication-bilan-ges-fr.pdf
  • https://www.vignevin.com/article/comment-sequestrer-le-carbone-dans-les-sols/
  • https://curis.ku.dk/portal/files/44663043/FOI_report_207.pdf

Les données chiffrées de répartition du bilan carbone d’une bouteille de vin sont des ordres de grandeur issues de moyennes réalisées à partir de plusieurs études réalisées dans des vignobles aux profils différents.

 

Jusque là, il y a 6 commentaires

Renaud

Au-delà du bilan carbone, le défi est l’adaptation aux dérèglements climatiques. Même en en venant à un bilan neutre, le réchauffement progresse et les vignoble devront changer rapidement de physionomie.

Réponse
Seb

Et pourquoi tout simplement ne pas réduire notre consommation?
Moins de vin, mais de meilleure qualité gustative et écologique.

Réponse
BELLAND Roger

pour le bilan carbone, vaut-il mieux faire 2 passages désherbant chimique uniquement sous le rang avec moteur bas régime ou 4 labours uniquement sous le rang demandant plus d’énergie ?
à prendre en compte aussi : au moins un passage de tondeuse au milieu du rang, demandant pas mal d’énergie

Réponse
Christian Toullec

Pourquoi compter le CO2 issu de la fermentation alcoolique puisqu’il a été absorbé auparavant par la vigne ? C’est un cycle dont le bilan est nul. Ça n’augmente pas le CO2 dans l’atmosphère.

Réponse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *