Qui sait boire, sait vivre

Votée en 1991, la loi Evin pose le principe de l’interdiction de la publicité en faveur des boissons alcoolisées. Seuls quelques supports publicitaires, comme la presse écrite, la radio, ou encore internet bénéficient de dérogations, sous certaines conditions strictes.

Si le principe de la loi, visant à luter contre l’alcoolisme n’est pas à remettre en cause, on peut regretter qu’elle s’applique à tous les alcools de la même manière. Elle place ainsi une bouteille de Malibu – rhum low-cost pour mauvaise cuite apprécié des jeunes – au même niveau qu’une bouteille d’un bon Bourgogne, produit raffiné et culturel par excellence.

Le vin qui fait la fierté de la France à l’export serait donc un produit dangereux pour notre marché intérieur.
Au-delà de l’absurdité de cette approche moralisatrice, il est important de noter que la France, dispose de l’une des législations les plus strictes en la matière.

Que dit la loi Evin sur la publicité en faveur des boissons alcoolisées ?

  • Toute publicité directe ou indirecte est interdite au cinéma et à la télévision
  • Des exceptions existent pour la presse écrite (exceptée celle à destination d’un public jeune) et pour la radio (dans certaines tranches horaires bien définies)
  • Le logo de la H-cup version francaise

    Le logo de la H-cup version francaise

    Elle est depuis 2008 autorisée sur internet, sur les sites qui ne s’adressent ni directement ni indirectement à la jeunesse, ni sur les sites liées aux activités sportives, sous réserve que le contenu de la publicité ne soit pas « trop intrusive ».

Un exemple intéressant : De 1995 à 2014, Heineken fut le principal commanditaire et sponsor de la coupe d’Europe des clubs de rugby, plus connue sous le nom de « Heineken Cup ».
En raison de la loi Evin interdisant la publicité en faveur de boisson alcoolisées à la télévision et – qui plus est – associée à un événement sportif, cette compétition a été renommée « H Cup » en France, le H de Heineken symbolisant les poteaux d’un stade de rugby.

Il est donc intéressant de se poser la question de la façon dont les autres pays producteurs de vins – européens et du nouveau monde – gèrent ce dilemme entre politique de santé publique et stratégie commerciale du secteur vinicole.
Petit tour d’horizon…

En Espagne : « Qui sait boire, sait vivre »

En 2003, l’Espagne a changé son fusil d’épaule face à la concurrence des vins du nouveau monde et à la baisse de la consommation nationale de vins locaux : le gouvernement a attribué au vin le statut de « produit naturel », lui permettant ainsi d’échapper aux lois limitant la publicité pour les alcools. Si les boissons alcoolisées restent interdites de publicité à la télévision, et restreintes à la radio et dans la presse écrite, le vin se voit autorisé un accès total à la télé et à la presse.

Qui sait boire sait vivre

La campagne espagnole « Qui sait boire sait vivre » associe les vins locaux à la gastronomie espagnole

En 2012, la fédération espagnole du vin s’appuie sur ce statut pour lancer une campagne de promotion de la consommation responsable du vin espagnol, avec le soutien des pouvoirs publics (20% du financement) et de l’Europe (60% du financement).

La campagne met en scène des personnalités espagnoles qui témoignent du rôle joué par le vin à un moment de leur vie, et promeut une consommation responsable associée à l’art de vivre et à la gastronomie espagnole.

Cette campagne est supportée par un site web et relayée dans la grande distribution.

Si il n’existe pas encore de chiffres illustrant les retombées de cette campagne – qui court jusqu’à cette année -,  les retours qualitatifs sont aujourd’hui très positifs.

En Allemagne – le dialogue plutôt que la loi

L’Allemagne ne s’est dotée que tardivement d’une législation en la matière, en se contentant de transposer la directive européenne minimaliste (interdiction de cibler les jeunes, de vanter des vertus sanitaires, de dévaloriser l’abstinence d’alcool). La loi allemande se contente d’ajouter l’interdiction de la publicité pour l’alcool au cinéma… pour les séances commençant avant 18h !

Si le volet légal est si laxiste, c’est que l’essentiel des règles ont été fixés dès 1976 par les acteurs du secteurs eux-mêmes qui se sont mis d’accord sur un code de bonne conduite raisonnable.

La culture allemande du dialogue n’est donc pas limitée à ses organisations syndicales et patronales ! Le conseil allemand pour la publicité et 14 associations représentant l’industrie des boissons alcoolisées ont négocié des règles qui vont plus loin que la loi, toute en restant bien plus souples qu’en France.

Certes, le vin n’est pas considéré différemment des autres boissons alcoolisées, on peut se réjouir que l’approche collaborative impliquant les acteurs du secteur ait abouti a une régulation plus libérale.

Etats unis, après la prohibition, la libéralisation

Dans un pays hygiéniste comme les US, pays de la prohibition, je m’étais imaginé que la loi allait être des plus strictes. Et bien c’est bien le contraire qu’il faut constater.

C’est que dans ce pays, antre du libéralisme, tout est bon pour éviter de voir l’état fédéral légiférer. Cette satanée loi fédérale qui se met en travers du rêve américain. Et la meilleure façon d’éviter la loi, c’est l’auto-régulation. Comme dans beaucoup d’autres secteurs de l’économie, les éditeurs et l’industrie des boissons alcoolisées se sont mis d’accord sur quelques règles relativement souples… mais suffisantes pour éviter que l’état ne s’en mêle.

En voila deux :

  • Il est interdit de promouvoir l’alcool dans des médias dont l’audience est susceptible d’être composée à plus de 71,6% d’un public de moins de 21 ans.
  • Le clip télévisé ne doit pas montrer de personnage consommer la boisson ainsi promue. Les publicitaires ne manquent pas de se jouer de cette règle, avec un certain talent. Voyez plutôt (ok, c’est de la bière) : https://www.youtube.com/embed/DN0vqqg-JBQ
  • Finalement, la contrainte la plus forte vient des éditeurs eux-mêmes (les chaines de télévisions, ou les magasines), qui ne souhaitent pas associer leur image à celle de l’alcool.

Ces dernières années, il faut bien constater que ceux-ci ont mis de l’eau dans leur vin. Une étude a montré qu’un enfant américain était exposé à une publicité pour l’alcool en moyenne 2000 fois par an ! Chaque année, l’industrie de la boisson alcoolisée investit 2 milliards d’euros dans la pubicité, en progression constante.

Chine – buvez du vin plutôt que du Baijiu !

La politique chinoise en matière de publicité pour le vin est portée par des motivations pour le moins inattendues, mais mérite d’être mentionnée. Le gouvernement chinois va en effet jusqu’à inciter à la consommation de vin au motif qu’elle serait… bonne pour la santé !

Derrière ce discours, une volonté des autorités chinoises de réduire la consommation de Baijiu, eau-de-vie à base de riz, dont la qualité laisse souvent à désirer et présente un risque sanitaire.

Il s’agit surtout pour le gouvernement d’orienter la production de riz vers les usages nutritifs, la Chine en consommant plus qu’elle n’en produit, il s’agit d’un enjeu d’indépendance alimentaire.

Il fut une époque où le vin avait bonne presse.

Il fut une époque où le vin avait bonne presse.

L’objet de cet article n’est pas de décrédibiliser la nécessité d’un contrôle de la communication des boissons alcoolisées dans les médias – rappelons que la France est l’un des plus gros pays consommateurs d’alcool avec 12,5g d’alcool pur par habitant et par an, et que l’alcool tue 50.000 personnes chaque année en France.

Il s’agit de réfléchir à une manière plus pragmatique de prendre en compte dans la loi le cas particulier des produits dits « culturels », tout en maintenant l’ambition d’une consommation d’alcool plus responsable.

Quelques pistes en vrac :

  • Il faut distinguer les boissons alcoolisées dites « industrielles » des boissons artisanales
  • Sur le modèle de ce que fait l’Espagne, les boissons artisanales se verraient autorisées à communiquer sur cet aspect du produit : l’unicité des terroirs, l’influence de la nature, la recherche de l’excellence à chaque étape de la vinification, l’art de la dégustation, l’art de vivre, la gastronomie…
  • Inversement, la promotion du côté festif ou désinhibant serait interdit pour l’ensemble des boissons alcoolisées

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Jusque là, il y a 2 commentaires

Et vin

Les boissons « industrielles » méritent elles moins ? Qu’est-ce qui est plus artisanal entre une petite brasserie de bière et un gros négociant en vin de Bordeau ?

Réponse
Netvin

La limite entre vins artisanaux et vins « industriels » est assez floue de l’extérieur, mais cela parait tout de même une bonne piste de réflexion pour gérer différemment cette problématique.

Réponse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *