Principaux destinataires des exportations de Porto, actionnaires de ses principales maisons de négoce, les Anglais sont aussi à l’origine de son histoire et de sa méthode de fabrication. Les Anglais, toujours les Anglais… C’est à croire qu’ils n’ont inventé la jelly que pour accompagner leur verre de Porto au dessert.
Et qui dit anglais, dit alcool et protectionnisme (et Hooliganisme, mais c’est ici hors-sujet…).
En 1667, le premier ministre du Roi Louis XIV, Colbert, lance un embargo sur les produits anglais. En réponse, Charles II d’Angleterre ordonne l’arrêt de l’importation des vins français. Margareth Thatcher n’aurait pas fait autrement. Mais un anglais reste un anglais et il lui faut remplir son verre. Les Anglais se tournent alors vers leur allié militaire de longue date : le Portugal, dont l’arrière-pays produit des petits vins rouges appréciés de nos amis du XV de la Rose.
Mais l’importation du vin portugais est compliquée, le vin ne supporte pas le long voyage. D’autant plus long que le vin que les anglais apprécient se trouve dans la vallée du haut Douro, entre Vila Real et la frontière espagnole. Il lui faut donc déambuler quelques 100 km jusqu’au port de Porto avant d’entamer la grande traversée.
Pour stabiliser le vin afin qu’il supporte le long voyage, les charentais inventèrent la distillation. Au Portugal, les anglais ont recourt à la « fortification du vin », qui consiste à y couler un peu de brandy après la fermentation. C’est l’embryon de ce qui deviendra le mutage, recette qui s’imposera comme la marque de fabrique du Porto… près de deux siècles plus tard, autour de 1850.
Comme tous les grands vins, l’élaboration d’un bon Porto commence dans la vigne. Celles de la vallée du Douro sont accrochées à des terrasses creusées dans les coteaux arides qui surplombent le fleuve. C’est bien connu, pour donner un bon vin, la vigne doit souffrir. Ici les vignerons souffrent avec elle, cassés en deux sur leurs vignes à pieds courts dont tout le travail se fait manuellement. Par tradition. Une tradition forcée par la géographie escarpée des lieux qui ne laisse passer aucune machine.
Cette géographie explique d’ailleurs indirectement une originalité notable : la diversité des cépages utilisés dans la production du Porto. Les reliefs qui entourent le fleuve créent de nombreux microclimats aux caractéristiques de température, d’humidité, d’exposition au soleil et au vent différentes selon l’altitude, la pente et l’orientation des coteaux. Pour chaque microclimat ce sont des cépages différents qui se révèlent les plus adaptés. Une cinquantaine de cépages sont répertoriés, dont 31 sont autorisés par l’institut des vins de Porto.
Si le vin qu’ils façonnent n’est pas inoubliable (j’en veux pour preuve que les anglais en raffolaient), la diversité de ces cépages leur donne une richesse qu’on retrouvera dans le produit fini. Quelques-uns sortent toutefois du lot, comme le Touriga Nacional, très tanique, ou encore le Touriga Francesa pour les cépages rouges. La Malavasia Final, l’Esgana Cao pour les cépages blancs. Rassurez-vous si vous n’en n’avez jamais entendu parler, ce sont principalement des cépages autochtones, qui ne sont pas utilisés ailleurs que dans la vallée du Douro.
En 1756, le marquis de Bompal crée la première appellation d’origine contrôlée
La première moitié du XVIIIème siècle voit prospérer l’exportation des vins de la vallée du Douro, qui n’étaient pas encore des Porto tels qu’on les connaît aujourd’hui. Cette croissance effrénée conduit les producteurs à privilégier la quantité de vin à exporter au détriment de sa qualité. En résulte une bulle spéculative, qui explose dans les années 1750.
La crise conduit le marquis de Bompal, premier ministre portugais, à réglementer la production et l’export de vin en définissant une réglementation, innovante à l’époque.Cette réglementation limite la zone géographique de production des vins destinés au Porto, qui est marquée par des bornes de granit dont certaines sont toujours visibles aujourd’hui. Elle contraint également les méthodes de production et introduit un système de points. Chaque vin se voit attribué un nombre de points en fonction de la localisation des vignes, de leur inclinaison, de leur altitude, du cépage utilisé. Les vins obtenant le plus de points sont autorisés à l’exportation, les autres étant destinés au marché local.Le marquis de Bompal ne le sait pas encore, mais il vient de créer une réglementation visionnaire qui est à l’origine du système des Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) qui prévaut encore aujourd’hui.
Une fois vendangés, à la main, les raisins sont vinifiés dans les Quintas. Ces exploitations vinicoles sont à la vallée du Douro ce que les Châteaux sont au bordelais et les Clôts à la Bourgogne. Certains Quintas datent du XVIIIème siècle et méritent une visite (accompagnée d’une dégustation), à l’image de la mythique Quinta do Noval au coeur de la vallée du Douro.
Les raisins y sont foulés, bien souvent encore à pied nus, selon la méthode traditionnelle. Cette phase, qu’on appelle le pigeage, est importante car elle permet de séparer le jus des parties solides du raisin et d’extraire les tanins et les couleurs contenus dans sa peau.
Commence alors la fermentation et avec elle, quelques bouleversements en perspective pour le vin.
Le mutage devient la recette officielle du vin de Porto dans les années 1850
Au cours de la fermentation, le sucre contenu dans le jus de raisin se transforme en alcool, sous l’action des levures. Pour faire un vin de Porto, la fermentation est stoppée par addition d’eau de vie de raisin à 77° dans le moût. L’alcool de l’eau de vie stoppe l’activité des levures et interrompt donc la fermentation. C’est ce qu’on appelle le mutage, ou encore le coupage.
Durant la fermentation, le vin est « bruyant », car la réaction chimique libère du CO2, qui le fait pétiller. Lors de l’ajout de l’eau-de-vie, il devient silencieux : c’est de là que vient le terme « mutage » du vin.
Le vin qui en résulte titre ~20° et conserve un taux de sucre non fermenté qui va lui donner de la rondeur, voire de la douceur. Le mélange d’eau-de-vie et de vin va révéler les arômes qu’il contient, et lui donner une capacité de vieillissement, parfois jusqu’à plusieurs dizaines d’années.
Le moment exact du mutage dans la fermentation est un paramètre important dans la vinification du Porto. Réalisé trop tôt ou trop tard, l’équilibre sucre-alcool du vin en souffrirait, son bouquet et sa capacité de vieillissement en pâtiraient. De même la quantité d’eau-de-vie à ajouter au moût est critique. Les proportions tournent généralement autour de 110 litres de Brandy pour 425 litres de vin.
Après un premier hiver passé dans les chais des Quintas, le vin va alors entamer un premier voyage le long du Douro pour rejoindre Porto. Ou plus précisément Vila Nova de Gaia. Cette ville portugaise qui fait face à la vieille ville de Porto, de l’autre côté du fleuve, est devenu le bras commercial de la marque Porto. Les principales maison de négoces y ont installé leurs celliers pour y faire vieillir leur vin, en attendant leur assemblage. Autrefois, la descente du fleuve se faisait dans des barques, appelées barco rabelo, que l’on peut toujours apercevoir accostées sur les quais de la ville, bien qu’elles ne soient plus utilisées depuis les années 60.
L’assemblage va donner au Porto toute sa richesse aromatique
Un assemblage de nombreux cépages tout d’abord, on l’a vu plus haut, qui peuvent être mélangés avant ou après la fermentation. Mais également un assemblage de différents millésimes, c’est-à-dire de vins d’années différentes. L’assemblage de millésimes a lieu bien plus tard, après le vieillissement des vins dans les caves de Gaia.
A son arrivée à Vila Nova de Gaia, le vin est goûté par les œnologues qui décident de ce que sera son vieillissement, qui peut se faire sur des périodes plus ou moins longues, en fût de 550 litres ou en en foudre – une sorte d’énorme tonneau de plusieurs milliers de litres.
Cet assemblage complexe donne au Porto toute sa richesse mais aussi sa diversité. Il existe en effet de nombreux types de Porto qui se différencient par la complexité de leur assemblage et la durée de vieillissement des vins assemblés.
- Ainsi les Ruby et Tawny sont issus d’un assemblage de différents vins et différents millésimes.
- Les Vintages, les plus nobles des Portos sont issus d’un seul millésime de vins provenant de différentes Quintas. Mais il existe aussi des « single quinta vintage » : des vins millésimés provenant d’une seule et même Quintas. Et comme une image vaut mieux qu’un long discours, voilà de quoi visualiser cette segmentation des vins de Porto :
Après une phase de concentration des acteurs du Porto dans les années 2000, les grandes maisons de négoces ont pris le relais des maisons familiales pour se faire les ambassadrices de la marque Porto. Ces négociants peuvent être propriétaires de Quintas dans la vallée du Douro, ou acheter des vins directement au vignerons ou aux Quintas elles-même. Souvent un peu des trois.
Parmi les négociants les plus réputés, Quinta do Noval, Taylor’s, Calem, Fonseca, Ferreira… ou encore Cruz, probablement le plus connu en France, bien que représentant assez mal la richesse des vins de Porto. Chacun personnifie ses critères de sélection des vins assemblés et ses méthodes de vinification, souvent héritées de traditions qui n’ont pas vieilli et façonne ainsi un Porto qui lui est singulier.
Dans son livre « Le Porto » (aux éditions Laffont), Chantal Lecouty écrit « S’il fallait définir le vin de Porto en un seul mot, l’adjectif sensuel monterait immédiatement aux lèvres ».
Ou comment le vin nous en apprend plus sur nos voisins que des siècles de guerre. Qui aurait deviné que la sensualité était la tasse de thé de nos amis anglais ? J’aurais plutôt misé sur leur intérêt pour les vins cuits que pour le vin de Porto. Ce n’est pas Jeanne d’Arc qui me contredira !
Quelle est la différence entre un vin muté et un vin cuit ?
On confond souvent vin cuit et vin muté. Leur méthode d’élaboration est pourtant bien différente :Les vins cuits sont une tradition provençale. A l’issu des vendanges, le moût issu des raisins éraflés et macérés sont chauffés à feu doux et régulier pendant plusieurs heures. Le moût se réduit de moitié ou plus selon les années suite à l’évaporation progressive de l’eau qu’il contient. Le jus obtenu après refroidissement est donc plus concentré en sucre. Le degré d’alcool augmente donc davantage au cours de la fermentation jusqu’à ce qu’il l’interrompe naturellement au bout de quelques mois.Le procédé n’est donc pas une méthode de mutage, dans laquelle la fermentation est interrompue par addition d’eau-de-vie. Le Banyuls, le Porto, le Xeres sont des exemples de vins mutés.
Et pour l’alcool qui mute, ils font un de vie et prennent le moins chèr? Il risque une prune s’il sorte d’une liste établie? Dans quelle mesure ca influence le goût?
La sélection de l’eau de vie utilisée pour le mutage est effectivement très importante. De sa structure aromatique dépend la qualité du Porto obtenu. L’institut du vin de Porto définit des critères de qualité rigoureux et procède à des tests chimiques et sensoriels. Dans les faits l’eau de vie utilisée provient souvent d’Espagne.
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Bonjour, en quelle année Jean Beardsley fit il le premier mutage? Merci, Olivier schelle
beaucoup de sucre dans le porto mais un excellent produit continuer à nous seduire
Votre blog est très intéressant.
Je voudrais vous signaler une petite erreur de dyslexie lorsque vous parlez du « Marquis de Bompal », car l’orthographe correct est « Pombal », Pombal étant une ville du centre du Portugal. Cordialement. Victor
Je ne connais pas ce mr Jean beardsley. Celui qui a découvert le mutage c’est le docteur catalan ARNAUD DE VILLENEUVE AU 14ième siecle.
Ou bout de combien de jours le mutage ou coupage se fait ?
[…] vins mutés, comme un Porto rouge ou un Pineau des Charentes. Plus alcooleux, puissants et doux, savent tenir tête aux chocolats […]
bonjour je suis tout émerveillée par ces informations que je retrouve ici pour les quantités à utiliser pour muter un vin merci beaucoup