Les super toscans

Dans les années 1970, une poignée de vignerons toscans décident de rompre avec les règles des appellations italiennes. Ils leur reprochent de se satisfaire de faire le succès local d’un Chianti sans grand intérêt, alors que le terroir mériterait bien mieux. Ils s’affranchissent de leurs DOCG locales pour vinifier selon leur propre cahier des charges. Quitte à rétrograder leur vin en appellation « vino de tavolla », c’est à dire en vin de table.

50 ans plus tard, les descendants de ces vignerons produisent ce qu’il est maintenant coutume d’appeler les super toscans, les plus réputés des vins italiens !

Ce mouvement n’aurait probablement pas connu le succès s’il n’avait été repéré et soutenu par un critique influent à l’époque. Un certain Robert Parker, qui a reconnu dans ces super toscans les qualités qu’il imposait alors aux vins du monde entier pour mériter ses bonnes grâces.

La question se pose donc en ces termes : les super toscans sont-ils un exemple à suivre de rébellion contre le dictat des appellations ou des vins moutons à la traîne d’une mode uniformisante ?

Les appellations toscanes

Le vignoble toscan est à l’image du vignoble italien. Il se distingue par une grande hétérogénéité de la qualité des vins produits. La géologie variée de la région explique en partie ce problème. Mais il tient principalement au fait qu’une grande majorité des vignerons de la région cultivent moins d’un hectare de vigne. Difficile dans ces conditions de s’équiper et d’investir dans la qualité.

C’est pourquoi de nombreux vignerons plus regardants et innovants ont décidé de sortir du carcan de leurs appellations peu valorisantes pour se mettre à produire des vins « à la bordelaise ».

Chianti

Il a longtemps été reproché à la DOP (dénomination d’origine protégée) Chianti la mauvaise qualité de son vin. C’était l’époque des Chianti vendus en bouteille bombée cerclée de paille, les fameuses fiasques. Leur seul intérêt était d’imposer une décoration et une boisson d’entrée de gamme aux pizzerias du monde entier.

A cette époque, l’appellation Chianti interdisait l’assemblage de cépages internationaux, au profit du Sangiovese local. Elle imposait même que le Sangiovese soit assemblé avec au minimum 10% de variétés locales de cépages blancs. A ces conditions, autant s’intéresser à l’huile d’olive.

Chianti Classico

La partie la plus noble du Chianti présente davantage de gages de qualité. Grâce à ses contraintes en terme de rendement, et à l’homogénéité de son sol argilo-calcaire. Celui-ci est particulièrement favorable à l’expression aromatique du cépage Sangiovese.

Néanmoins, les règles d’encépagement sont longtemps restées les mêmes que celles de la DOP Chianti. Et la création de la catégorie « Riserva » sensée réhausser le niveau n’a pas été soumise à des règles suffisamment contraignantes pour faire une quelconque différence.

Brunello di Montalcino

L’appellation Brunello di Montalcino est vraisemblablement l’appellation toscane historique la plus noble. Elle s’étend autour du village de Montalcino au sud de la ville de Sienne. Le terme Brunello, quant à lui, réfère à la variante locale du cépage Sangiovese.

Le cahier des charges de l’appellation impose au vin d’être élevé au moins 4 ans avant d’être commercialisé. Les vignes sont réparties sur les côteaux autour du village qui culmine à 500 m d’altitude. Le climat y est plus chaud et permet à quelques 200 vignerons de vinifier des vins plus riches, intenses et taniques que dans le reste de la Toscane.

Vino Nobile di Monpulciano

Située au sud-est de la Toscane, sur des sols plus sableux et plus en altitude, l’appellation Vino Nobile di Monpulciano produit des vins plus légers, mais bien réglementés

Les super toscans

Dans ce vignoble que rien n’aurait dû porter vers la renommée internationale, les super toscans détonnent ! Contrairement aux vins d’appellations, ils sont issus d’assemblages du cépage local, le Sangiovese, avec des cépages internationaux (Cabernet sauvignon, Merlot, Syrah, cabernet franc). Ils sont élevés en fûts de chêne français et constituent d’excellents vins de garde.

L’histoire commence au début des années 1940 lorsque le marquis Mario Incisa della Rocchetta, ami d’Elie de Rothschild, importe du cabernet sauvignon du Château Lafite. En admiration devant les grands vins français, il plante du cabernet dans la région de Bolgheri, sur la côte toscane, en 1944. Il vinifie son premier vin 100% cabernet sauvignon en 1948, sous le nom Sassicaia. Le premier super-toscan est né. D’abord destiné à des dégustations privées, le marquis attend 1971 pour commercialiser son premier Sassicaïa de la cuvée 1968 !

Après avoir été déclassé en vin de table, puis en IGP (Indication Géographique Protégée), ce vin bénéficie aujourd’hui de sa propre appellation : la DOC Bolgheri Sassicaia. C’est d’ailleurs le seul vin italien à bénéficier d’une appellation qui lui est dédiée !

Suivant l’exemple bolgherien, plusieurs vignerons multiplient les expériences d’assemblages inédits. Leur point commun ? Mettre en valeur le cabernet sauvignon, le cabernet franc et le merlot, qui expriment un caractère exceptionnel sur ce terroir toscan.

Ces vignerons hésitent sur la stratégie à adopter. Faut-il créer une appellation pour valoriser ces vins modernes ? Ou faut-il rester en dehors du système des appellations, ce qui leur a plutôt réussi jusqu’à présent ? Ils restent alors vendus sous l’appellation IGT, mais n’en demeurent pas moins reconnus à l’international pour leur qualité digne des plus grands.

Quels sont les supers toscans les plus connus ?

Les super toscans sortent du bois lorsqu’en 1978, le Sassicaia 1972 de la Tenuta San Guido a déclassé tous les grands vins bordelais à l’occasion d’une dégustation à l’aveugle organisée par le magazine Decanter.

Ces vins figurent aujourd’hui parmi les plus chers au monde. Il faut compter 200€ à 300€ pour une bonne bouteille d’Ornellaia, Solaia ou encore de Tignanello. Faisons ensemble le tour des principaux super toscans !

Le Sassicaia de la Tenuta San Guido : le premier super toscan

Le domaine Tenuta San Guido du marquis Mario Incisa della Rocchetta est considéré comme le précurseur du mouvement des super toscans. Son Sassicaia fut le premier vin toscan à ne pas être issu d’un assemblage de sangiovese et de cépages blancs locaux. En vinifiant un assemblage de cabernet sauvignon et de cabernet franc, le marquis lance la mode des vins toscans vinifié « à la bordelaise ». Aujourd’hui, il faut compter 440€ la bouteille pour une cuvée 2016 !

Depuis l’année 2000, la gamme s’est enrichie de deux nouveaux vins : le Guidalberto, un assemblage de cabernet sauvignon, de merlot et de sangiovese. Un excellent second vin à un prix plus accessible (50€) !

Et le Difese qui contient 70% de cabernet sauvignon et 30% de sangiovese. Du haut de ses 25€, il constitue l’entrée de gamme de la Tenuda San Guido.

Le Tignanello de la maison Antinori : l’autre pionnier

La maison Antinori est une autre grande maison italienne, pionnière dans le développement des vins toscans. Elle vinifie le Tignanello depuis 1971. Après être passé par plusieurs types d’assemblage, le Tignanello est aujourd’hui un assemblage de Sangiovese (80%), cabernet sauvignon (15%) et cabernet franc (5%). Ce vin produit sur la commune de San Casciano in Val di Pesa au sud de Florence est élevé en barriques. Il est resté commercialisé sous l’appellation « vin de table » jusqu’à ce que l’indication géographique protégée autorise en 1994 les super toscans de s’en revendiquer. Il vous en coûtera néanmoins de 100€ à 300€ pour vous en procurer une bouteille, en fonction du millésime.

Surfant sur le succès du Tignanello, la maison Antinori lance en 1978 son vin Solaia, un autre super toscan mettant encore davantage en avant le cabernet sauvignon dans l’assemblage avec le sangiovese et le cabernet franc. Ce second vin est vite devenu le premier vin de la maison Antinori. Il s’échange à plus de 200 € la bouteille !


L’Ornellaia donne la part belle au merlot

Ornellaia e Masseto est un autre domaine du groupe des super toscans, créé un peu plus tard en 1981 dans ce qui est devenu la DOC Bolgheri. Son vin phare, l’Ornellaia, est un assemblage de cabernet sauvignon (51%), merlot (27%), cabernet franc (18%) et petit verdot (4%) ! Soit la composition typique des grands vins de Bordeaux. Et pour cause, Michel Rolland, un consultant en oenologie bordelais, fut impliqué dans le projet dès le début.

 

Aux côtés de ce vin qui s’échange autour de 100€ la bouteille sur les sites e-commerce spécialisés, le domaine produit deux autres super toscans : le Serre Nuove et le Volte, qui sont des assemblages qui donnent la part belle au merlot. Vous les trouverez respectivement à partir de 50€ et 20€ la bouteille.

Profile Vivino du Serre Nuove :

 
Profile Vivino du Volte :

La maison Tolaini rend les super toscans accessibles

Situé au coeur de l’appellation Chianti Classico, au nord de la ville de Sienne, le domaine Tolaini vinifie quatre vins : un Chianti Classico et trois super toscans ! Plus récent que les autres – les vignes ont été plantées en 2000 –  le domaine propose des vins d’une grande qualité, travaillé en viticulture biologique, à des prix abordables.

Si vous souhaitez déguster un super toscan sans vous ruiner, c’est par la maison Tolaini que nous vous conseillons de vous lancer !

Le premier et le plus connu des trois, le Picconero, est un assemblage de 65% de merlot et 35% de cabernet franc. C’est un vin « à la bordelaise », riche, concentré, structuré. Ses 18 mois d’élevage en fûts lui apportent des tanins soyeux et des notes de vanille. On le trouve sur le marché à 65€ la bouteille.

 
Le second, Al Passo, est un assemblage aux trois tiers de Sangiovese, Merlot, Cabernet Sauvignon. C’est un vin aux notes épicées et aux arômes de fruits rouges très élégants. Il est vendu aux alentours de 25€ à 30€ la bouteille.

 
Le troisième, Valdisanti, est un assemblage de Cabernet Sauvignon (75%), Sangiovese (20%), Cabernet Franc (5%). C’est un vin de garde très structuré, aux arômes de fruits noirs. Il est vendu entre 22€ et 34€ la bouteille, selon les millésimes.

 

Le domaine Ca’Mercanda étend l’empire de la famille Gaja

La famille Gaja est une dynastie dans la viticulture italienne. Historiquement implantée dans le Piémont, où elle détient un empire dans les appellations Barolo et Barbaresco, la famille Gaja a racheté en 1996 le domaine Ca’Mercanda, dans la DOC Borgheli.

Trois super-toscans y sont vinifiés selon des assemblages savants autour du Merlot :

  • le Promis (55% de Merlot, 35% deSyrah et 10% de Sangiovese) – IGT Toscana. Il faut compter à peu près 30€ la bouteille.

  • le Macari (50% de Merlot, 25% de Cabernet Sauvignon, 25% de Cabernet Franc ) – IGT Toscana. Ce vin fait office de « second vin » du domaine. Comptez 50€ la bouteille. 

  • le Camercanda Bolgheri (50% de Merlot, 40% de Cabernet Sauvignon, 10% de Cabernet Franc) – DOC Borgheli. C’est le premier vin du domaine, qui s’échange à plus de 120€ la bouteille.

La qualité au prix de la diversité ?

L’histoire des super toscans soulève le débat entre la qualité et la diversité. Si il est maintenant établit que la rupture des pionniers des super toscans a permis à l’ensemble de la région d’élever le niveau, il n’en reste pas moins que cela s’est fait au prix de la typicité du terroir local, défendu par les appellations.

D’un côté, la résistance des appellations toscanes face aux super toscans s’explique par la nécessité de garantir la spécificité locale des vins produits. D’un autre, il est dommage que ces appellationsn en refusantde prendre un virage qualitatif, ont donné de l’espace aux super toscans pour briller « par contraste ». Au prix de la typicité. En effet, ces vins, à la qualité exceptionnelle, sont proches des nos vins bordelais, et pour cause. Ils ont été vinifiés sous la pression de critique qui favorisaient ce type de vins, structurés, puissants et boisés. Un risque pour la diversité ?

Aucun commentaire jusque-là - Vas-y, lance-toi !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *