Tour du monde des vins mutés

Le vin muté est un vin dont la fermentation a été stoppée par l’ajout d’un alcool neutre ou d’une une eau-de-vie de raisin. L’objectif est de conserver du sucre résiduel dans le jus et de rehausser le degré d’alcool de ces vins. Doux et fortifiés, les vins mutés sont également façonnés par le temps. Ils sont en effet généralement longuement élevés pour affiner leur puissance aromatique. Soit dans des fûts à l’abri de l’air, pour développer des arômes fruités. Soit à l’air libre, pour développer des notes oxydatives auxquelles nos papilles ne sont pas habituées.

Dans tous les cas, déguster un vin muté est une expérience qui nous fait voyager dans le temps et dans l’espace !

Une histoire de voyage

D’ailleurs, l’origine des vins mutés est étroitement liée à la notion de voyage !

Au XVIIème siècle, suite à l’embargo français sur leurs produits, les anglais cessent d’acheter du vin français et se tournent vers leur allié historique : le Portugal. Mais les vins du Douro supportent mal le voyage en bateau. Ils décident alors de fortifier le vin en y coulant de l’eau de vie pour le stabiliser. C’est le point de départ du mutage.

De même, au XVIème siècle, les voyages des grands aventuriers à travers l’atlantique ou le long des côtes africaines passaient par les îles portugaises de Madère. C’était l’occasion pour les navires de faire le plein de denrées avant d’atteindre la haute mer et de passer l’équateur. Parmi ces denrées, le vin de Madère supportait mal les températures pouvant atteindre 50°C dans les cales des navires. Pour mieux supporter la traversée, ces vins étaient renforcés à hauteur de 20%. C’est ainsi qu’est né le vin doux naturel de Madère.

D’où vient le terme de vin « muté » ?

Durant la fermentation, le vin pétille ! Sous l’action des levures, la fermentation consomme le sucre contenu dans les baies de raisins et le transforme en alcool. Cette réaction chimique libère de la chaleur et du gaz carbonique. Les bulles de gaz carbonique remontent dans le tonneau et explosent à leur libération, c’est ce qui fait « chanter » le vin !

L’ajout brutal d’alcool interrompt la fermentation et le vin cesse soudainement de chanter. C’est l’origine du terme « muter » : réduire au silence. On le retrouve toujours sur le bouton « mute » de nos télécommandes 🙂

Il existe deux types de vins mutés :

  • Les vins de liqueur (VDL), à ne pas confondre avec les vins liquoreux : le moût de raisin est coupé avec de l’eau de vie en tout début de fermentation. Tout le sucre contenu dans le jus est donc conservé. C’est le cas du Pineau des Charentes, du floc de Gascogne, du Macvin du Jura. Lorsque le mutage a lieu avant même le début de la fermentation, on parle alors de Mistelle.
  • Les vins doux naturels (VDN), encore appelés les vins mutés doux : le mutage a lieu en cours de fermentation. C’est le cas du Porto et du Banyuls. Les vins mutés secs, dont le mutage a lieu en fin de fermentation, en sont un sous-ensemble.

On comprend que le moment du mutage est une décision importante, car il définit la douceur du vin muté produit. Il en détermine également les arômes : alors que les vins de liqueur présenteront des arômes de fruits rouges propres à chaque région, les vins doux naturels seront davantage sur des arômes de nuances de fruits confits.

Portugal, Grèce, Italie, France, Espagne… tous les pays viticoles du pourtour méditerranéen présentent deux points communs : le soleil et la production de vins mutés. Hasard ou coïncidence ?

Les vins de liqueurs

Le Pineau des Charentes

Le vin de liqueur le plus connu en France reste le Pineau des Charentes. Il est produit à partir de moût de raisin coupé avec de l’eau-de-vie de Cognac. D’ailleurs, la zone de production de l’AOC Pineau des Charentes se superpose à celle du Cognac.

La légende raconte qu’au XVIème siècle, un vigneron charentais aurait versé, par erreur, du moût de raisin dans une barrique contenant du Cognac. Se rendant compte de son erreur, le vigneron oublie la barrique plusieurs années avant de découvrir le résultat, doux et fortifié.

Les proportions sont d’environ 3/4 de moût de raisin pour 1/4 de Cognac de la récolte précédente. Ce qui donne un vin particulièrement sucré, titrant près de 18°. Commence alors une longue période d’élevage en fût de chêne qui va apporter de la structure et des arômes.

La beauté du Pineau des Charentes, c’est que chaque producteur imagine sa propre recette. Certains le font vieillir plus de 10 ans, d’autres mélangent les millésimes. Certains le vinifient « à la champenoise » et le font circuler sous le manteau, car ce procédé de Pineau champanisé n’est pas autorisé !

Dans tous les cas, le Pineau des Charentes est très apprécié servi frais, à l’apéritif. Il peut également accompagné des repas car il constitue un excellent accord met-vin avec le foie gras et le fromage.

Le Floc de Gascogne

Le Floc de Gascogne est à l’Armagnac ce que le Pineau des Charentes est au Cognac. Il est produit par le mutage de 2/3 de moût de raisin par 1/3 d’Armagnac et présente des caractéristiques gustatives similaires à celles de son voisin charentais.

Le Macvin du Jura

Le Macvin du Jura est issu de l’assemblage de moût de raisin coupé d’eau-de-vie de marc de Jura. L’eau-de-vie doit avoir été élevée 18 mois en fûts de chêne. Le macvin doit ensuite vieillir encore au moins un an, toujours en fûts de chêne.

Tout comme le Pineau des Charentes et le Floc de Gascogne, le Macvin bénéficie d’une appellation d’origine contrôlée.

Ces vins de liqueur sont puissants, structurés et complexes. On y décèle des arômes élégants de fruits rouges, propres à chaque région.

Les vins de liqueur locaux

De manière plus confidentielle, chaque région de France produit son vin de liqueur, sans qu’une AOP n’existe forcément pour les récompenser :

  • le Ratafia en Champagne et en Bourgogne
  • Le Rikiki dans le Beaujolais
  • La Cataroise de Béziers
  • Le Pommeau en Normandie. Celui-ci présente la caractéristique d’être produit à partir de moût de pomme coupé au Calvados.

Le Marsala sicilien

L’Italie aussi produit son vin de liqueur. Le plus connu est le Marsala, produit dans la région de Trapani sur la côte ouest sicilienne.

A la fin du XVIIIème siècle, un anglais accoste dans le port de Marsala pour se protéger d’une tempête. Il y découvre le vin, qui lui rappelle les vins de Porto et de Xeres. Il décide de les fortifier pour les exporter en Angleterre… et il en fait sa fortune !

Le vin de Marsala bénéficie maintenant d’une DOC (l’équivalent italien des AOP) et doit titrer 18°C et être affiné un an pour le Marsala Fine et jusqu’à 10 ans pour le Marsala Soleras Riserva.

En creusant un peu, on trouve de la mistelle un peu partout dans le monde : 

  • le Québec assemble du moût de raisin avec du Brandy sous différents noms et produit même des mistelles à base de poire, de pomme et de prune.
  • Madagascar produit la Piloboka, une mistelle originale, mutée au rhum !

Les vins doux naturels du monde

Le Porto

Le vin doux naturel de Porto est le plus emblématique des vins mutés. Pas forcément le plus ancien d’ailleurs. Le Jura produit du Macvin depuis le XIVème siècle ! Ce qui est intéressant, car ça nous permet de constater que de nombreux vignobles ont identifié, sans se concerter, que la fortification était une façon de sublimer leurs vins !

Tawny, Colheita, LBV, Vintage, les vins de Porto méritent un dossier complet sur vinsdumonde.blog :

https://vinsdumonde.blog/le-vin-de-porto-assemblage-mutage-vintage/

Le Jeres, Xerès, ou encore Sherry

L’Espagne produit un vin doux naturel mythique : le Xerés (en Français) également appelé Sherry (en anglais), originaire de la ville de Jeres de la Frontera, en Andalousie. On retrouve donc les trois noms dans la litérature 🙂

Contrairement au Porto, où le mutage intervient après 2 ou 3 jours de fermentation, pour conserver du sucre dans le moût, celui du vin de Xeres intervient en fin de fermentation. Le résultat est un vin muté plus sec.

A la fin de la fermentation, une première dégustation est faite, qui permet de classer les vins qualitativement. La décision est alors prise de les vinifier en différentes catégories :

  • Les Finos sont mutés à 15,5° d’alcool, ce qui permet l’apparition de la Flor. La Flor est une levure qui apparaît naturellement dans le vin de Fino, qui titre moins de 16° d’alcool. Elle constitue une couche qui peut atteindre 5cm d’épaisseur qui flotte dans la barrique et ralentit l’oxydation du vin en le protégeant de l’air. Elle lui transmet également des arômes. C’est ce qu’on appelle le vieillissement sous fleur.
  • Les Manzanillas sont vinifiés de la même façon que les Finos, mais leur élevage a lieu sur la côte. Exposés à l’air marin, ils donnent des vins plus iodés que les Finos.
  • Les Amontillados et Palo Cortados sont de vieux Finos pour lesquels la couche de Flor a rompu après plusieurs mois (Palo Cortados) ou plusieurs années (Amontillados). Le vin se retrouve au contact de l’air et s’oxyde.
  • Les Olorosos sont mutés à 18° d’alcool, ce qui empêche toute apparition de la Flor. Ils sont vinifiés au contact de l’air ce qui leur confère des arômes de noix, typiques des vins élevés en atmosphère oxydante.

On le voit bien, les vins mutés se différencient les uns des autres par la gestion de deux paramètres :

  • La durée de la fermentation avant le mutage, qui détermine la douceur du vin fortifié,
  • L’exposition du vin à l’air pour gérer une oxydation plus ou moins lente, qui détermine la nature des arômes.

Le vin de Madère

Si le processus de vinification des vins du Madère est proche de ceux du Porto et du Jerez, son originalité réside dans un procédé qui lui est unique : la chauffe au contact de l’air.

Il s’agit de reproduire les conditions climatiques des cales des navires du XVIème siècle, chaudes et humides, au cours de la traversée de l’équateur. Les températures, qui pouvaient atteindre les 50°C, accéléraient le vieillissement du vin fortifié. Le contact du vin avec l’air permettait par ailleurs le développement d’arômes aux notes oxydatives fortes, qui font la marque des vins de Madère.

Barriques de vin de Madère vieillissant à la chaleur naturelle

Depuis le XVIIIème siècle et encore aujourd’hui, deux techniques de chauffe sont utilisées dans la vinification du Madère :

  • L’estufagem consiste à chauffer le vin durant 3 mois à des températures de 50°C dans des cuves en acier.
  • Le canteiro consiste à chauffer le vin à la chaleur naturelle, dans des tonneaux positionnés sous des toits par exemple, pendant 20 à 100 ans !

La vinification des vins de Madère recherche l’oxydation, et donc le contact avec l’air. Les cuves et tonneaux de vieillissement ne sont donc remplis qu’à hauteur de 90% pour laisser de la place à l’oxygène de l’air.

Les vins sont ensuite assemblés, sur le modèle des vins de Porto :

  • Assemblage de différents millésimes : Reserva (5 ans d’âge), Reserva Velha (10 ans), Reserva Extra (15 ans)
  • Assemblage millésimés : Colheita (5 ans d’âge) et Frasqueira (au moins 20 ans d’âge, en chauffage canteiro)

C’est de là que vient le terme « madérisé », qui a pris une connotation négative avec le temps. Un vin madérisé est un vin qui présente un défaut d’oxydation. Alors qu’à l’origine, cette oxydation était recherchée et même particulièrement prisée ! Si vous vous intéressez aux vins doux naturels, il vous faut déguster un vin de Madère. Votre première réaction sera sûrement la surprise, tant les notes oxydatives sont déroutantes. Mais c’est comme toute expérience nouvelle : il faudra lui donner une chance avant de pouvoir l’apprécier pleinement !

Les vins doux naturels du sud de la France

Partout dans le monde, les vins doux naturels sont produits dans les régions ensoleillées. Et pour cause, il faut de la chaleur pour que l’élevage du vin se fasse dans des conditions optimales. En France, les vins doux naturels les plus connus sont donc produits dans le sud : en Occitanie en particulier.

Les appellations les plus connues sont celles de Banyuls et de Rivesaltes dans le Roussillon. Mais la région produit également l’AOC Maury près de Perpignan.

Le Languedoc produit également des vins doux naturels moins renommés : Le Muscat de Lunel, Muscat de Frontignan, Muscat de Mireval et Muscat de Saint-Jean-de-Minervois. Tous ont le droit à leur AOC !

Les vins doux naturels à base de Muscat

Le cépage « muscat à petits grains » est particulièrement adapté à la vinification de vins doux naturels blancs. D’origine grecque, c’est un cépage à la chaire très sucrée et à la maturation précoce, ce qui permet d’obtenir des moûts facilement à fort potentiel d’alcool. Une fois mutés, ces moûts conservent une sucrosité importante.

Il est ainsi utilisé dans la vinification de plusieurs vins doux naturels :

  • Les vins doux naturels français d’Occitanie dont nous avons parlés plus haut
  • Le muscat de Samos, originaire de l’île grecque de Samos
  • Le Rutherglen Muscat, originaire d’Australie, nous prouvent que l’Europe n’a pas le monopole des vins doux naturels.

Le nouveau monde aussi s’intéresse aux vins mutés !

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Bertrand.Chartier

Bonjour
A l’occasion d’un stage œnologique, il m’a été enseigné que la principale différence entre un VDL et un VDN , était que le mutage d’un VDL n’était pas muté avec un alcool neutre. (cognac, armagnac..)
Si j’ai bien lu et surtout compris votre article, il ressort que la différence entre les deux est le mutage en début de fermentation ou en cours de fermentation.
Pouvez vous m’éclairer sur cela.
Merci d’avance et bravo pour vos articles passionnants
Bertrand

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