« Rien ne semble pouvoir arrêter la Chine dans son élan qui en fait l’un des leaders de l’industrie du vin. » C’est en ces termes que nous concluions notre premier article consacré, en 2012, à la culture du vin en Chine. 8 ans plus tard, tant de choses ont changé !
Si la Chine est bien installée au 5ème rang mondial des pays consommateurs de vin, elle envoie néanmoins des signaux contradictoires :
- d’un côté, la surface de son vignoble ne cesse de s’étendre. Elle compte désormais le deuxième plus grand vignoble au monde. Derrière l’Espagne, mais devant la France et l’Italie
- d’un autre, sa production de vin recule brutalement en 2018, après avoir stagnée depuis 2014. Sa consommation et ses importations marquent également un ralentissement.
Que se passe-t-il au pays du milieu ?!
Les indicateurs ne sont plus tous au vert
Depuis plusieurs décennies et jusqu’en 2013, tous les indicateurs étaient au vert. Tirés par une consommation galopante, les importations de vin en Chine explosaient. La superficie du vignoble chinois et la production locale de vin ne cessaient de croître.
Après sa naissance dans les années 1980 rendue possible par l’ouverture du marché chinois, le marché du vin s’est construit à la vitesse grand V de manière déstructurée. Depuis 2013, le marché, davantage mature, semble se structurer.
Comment expliquer ces tendances contradictoires ?
La consommation de vin se stabilise
Après trois décennies de hausse continue, la consommation de vin se stabilise en Chine à partir de 2013. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène.
La Chine est un pays à la culture d’alcool de graine
Il faut d’abord se rappeler que la Chine n’est pas historiquement un pays à la culture viticole forte. Comme l’Angleterre, la Russie, et de nombreux autres pays, c’est un pays à la culture d’alcool de graine. Le Baijiu, spiritueux traditionnel chinois est un alcool à base de riz fermenté. La naissance de la culture du vin est récente. Elle remonte aux années 1980. Et comme toutes les tendances récentes, elle se comporte comme un phénomène de mode, caractérisé par des hausses spectaculaires et des mouvements de consolidation.
La lutte contre la corruption impacte la consommation premium
Deuxième facteur : la prise de pouvoir du président chinois Xi Jinping en 2013 est rapidement suivie d’une lutte anti-corruption acharnée. Tous les signes extérieurs de richesse sont suspects, au premier rang desquels la consommation de grandes marques de vins et spiritueux. Par réflexe d’autodéfense, les chinois riches et puissants cessent de consommer du vin. C’est un premier coup d’arrêt dans l’ascension fulgurante de la consommation vinicole chinoise.
La jeunesse et le e-commerce prennent la main sur la consommation de vin
Ces deux facteurs d’instabilité sont compensés par une tendance de fond : la génération des trentenaires prend la main, portée par ses gains de pouvoirs d’achat… et les usages avant-gardistes du e-commerce chinois !
Particulièrement exposée à la culture occidentale et à l’image de luxe qu’elle renvoie, la jeune génération consomme davantage de vin que l’ancienne. Surtout depuis qu’elle en a les moyens. Aujourd’hui la Chine compte près de 50 millions de consommateurs de vin ! Et de plus en plus, les achats se font en ligne ou sur mobile. Il faut comprendre que sur les usages e-commerce, la Chine dispose de plusieurs années d’avance sur l’occident. Il n’est pas rare de voir de jeunes trentenaires commander leur vin en sortant du boulot et le réceptionner chez eux quelques heures plus tard pour préparer le dîner !
Ces canaux de vente ont permis à la consommation de vin de sortir des très grandes villes et de gagner les 150 villes de plus d’un million d’habitants que compte la Chine.
Il est fort à parier que cette dernière tendance dominera les deux premières, et que la consommation de vin en Chine reprendra sa croissance à moyen terme.
Une production locale de vin en chute libre
Coincée entre une baisse temporaire de la consommation intérieure et une concurrence accrue des importations de l’ancien et du nouveau monde, la production locale de vin souffre.
Aussi curieux que cela puisse paraître, la viticulture chinoise souffre… de la concurrence mondiale !
La Chine a longtemps construit sa croissance sur la délocalisation d’activités industrielles occidentales. Mais la viticulture ne répond pas aux mêmes mécanismes macro-économiques.
Encouragé par le gouvernement chinois, le pays a multiplié les importations de vins étrangers. Les vins français d’abord, qui font rêver les riches consommateurs chinois pour l’image de luxe qu’ils renvoient. Mais également les vins d’entrée de gamme provenant du Chili et plus récemment d’Australie.
La Chine a en effet signé des accords commerciaux avec ces deux pays, qui leur permettent d’exporter leur vin au pays du milieu sans avoir à régler de droits de douane ! Ils arrivent sur le marché chinois au prix de 60 yuan (8€) pour les moins chers, et concurrencent les vins locaux. Ces derniers, pour le même prix, ne proposent pas encore une qualité et une image de marque suffisamment forte pour se différencier.
La Chine est donc prise dans un entre-deux:
- Pour pouvoir concurrencer les vins d’entrée de gamme chiliens, espagnols et australiens, le vignoble chinois a encore besoin de s’équiper en matériel viticole haut de gamme qui lui permettront de faire des économies d’échelle, et donc de baisser ses prix.
- Pour pouvoir concurrencer les vins haut de gamme français et italiens, le vignoble chinois a encore besoin de gagner en maturité et en savoir-faire.
Cette situation décourage les groupes industriels qui pilotent la production de vin locale autant que les petits producteurs. Ce qui explique la chute récente et brutale de la production de vin chinois !
Une baisse des importations en trompe l’oeil
Dans ce contexte de stagnation de la consommation, les mathématiques voudraient que les importations augmentent. Ne serait-ce que pour compenser la chute brutale de la production.
Or notre graphique ci-dessus nous montre que ce n’est pas le cas. Durant 15 ans, la hausse fulgurante des importations n’aura marqué le pas qu’en 2013. En pleine lutte anti-corruption menée par Xi Jinping. En 2018, ces importations ont à nouveau chuté. Lourdement, si on ajoute Hong-Kong, qui est entre-temps devenu la plaque tournante de l’import de vin en Asie.
En 2010, les vins importés représentaient 20% de la consommation chinoise. 10 ans plus tard, ce pourcentage a doublé ! Les importations ayant augmentées bien plus vite que la consommation, il n’est ni surprenant, ni alarmant de les voir baisser, tant les stocks accumulés se devaient d’être purgés.
En revanche, ce qui est plus inquiétant, c’est que cette baisse des volumes importés s’accompagne d’une baisse tout aussi massive en valeur. L’explication a été évoqué plus haut : les vins d’entrée de gamme australiens et chiliens viennent tailler des croupières aux vins français et italiens positionnés haut de gamme.
Cette baisse en valeur est un signe qui ne trompe pas. Il faudra suivre de près les chiffres 2019 pour comprendre s’il s’agit d’un mouvement de consolidation des stocks ou d’un retournement du marché.
Pendant ce temps, la surface du vignoble chinois explose
Seul indicateur au vert depuis 15 ans, la surface de vignes plantées en Chine. Or cet indicateur est relativement peu représentatif de la culture du vin car toutes les vignes ne sont pas destinées à produire du vin !
En effet en l’espace de 10 ans, la Chine est devenu le premier producteur et exportateur mondial de raisin ! Elle en irrigue toute l’Asie, au même titre que la Turquie en irrigue l’Europe.
Très intéressant!