Un petit tour dans le vignoble du Vin de Pays Charentais

Vous connaissez sûrement déjà Cognac pour sa célèbre eau-de-vie, ou encore son Pineau des Charentes, mais peut-être moins pour son vin. Et oui, on fait aussi du vin en Charente, et j’aimerais vous convaincre que ce vin vaut le détour !

Pineau à l’apéro, Cognac en digeo, et maintenant Vin de Pays Charentais au repas … La région de Cognac vous accompagne désormais tout au long de votre soirée ! (je pourrais faire publicitaire J).

Pourtant, il y a 30 ans, l’idée de faire du vin dans cette région était une hérésie. Portée par le succès du Cognac, il n’était pas pensable de se risquer à écorner son image de marque en se diversifiant dans le vin.

Que s’est-il donc passé dans les années 80, qui explique ce changement de stratégie ? Et surtout, est-ce qu’un terroir qui fait du bon Cognac peut-il être aussi un terroir pour faire du bon vin ? Par terroir, je n’entends pas seulement les ressources du sol et du climat, mais aussi le facteur humain : le savoir-faire, la passion, l’expérience.

Les débuts du Vin de Pays Charentais se font dans un contexte de crise.

A partir de la fin des années 1980, l’eau de vie de Cognac connaît une longue décennie de crise. Les exportations et la consommation française s’effondrent.

Les politiques commerciales conservatrices des Etats-Unis (15% des exportations) dans les années 1990, et la récession économique au Japon  limitent les débouchés à l’exportation (-30% de 1989 à 1994).

En France, la loi Evin votée en 1981, la concurrence des alcools bon marché, et la difficulté des maisons de Cognac à se repositionner sur leur marché domestique expliquent le retour en 1990 aux volumes de vente des années 1960.

Pour faire face à cette situation de surproduction, les viticulteurs arrachent leurs vignes. L’Etat les accompagne en subventionnant l’arrachage. C’est l’occasion pour eux de prendre, à contrecœur, le virage de la diversification.

« Le Cognac, c’est notre vie. Faire du vin de pays, c’est bien joli, mais quels sont les débouchés ? Il nous faudra des années pour être compétitifs.» se plaint un viticulteur, se faisant alors le porte-parole du scepticisme ambiant à cette époque.

L’impératif économique l’emporte et de nouveaux cépages sont plantés, qui se substituent aux ceps d’Ugni-blanc, cépage blanc réservé au Cognac :

  • Les cépages rouges sont le Merlot, le Cabernet Sauvignon et le Cabernet Franc. Ceux-là mêmes qui ont fait la renommée de vins rouges de Bordeaux. On trouve également un peu de Gamay, cépage typique du Beaujolais et du Pinot noir, cépage maître en Bourgogne.
  • Les cépages blancs sont également les mêmes que dans le Bordelais : le Sauvignon et le Sémillon.

La première cuvée de Vins de Pays Charentais sort des chais en 1981.  30 ans plus tard, le vignoble s’étend du nord de la Gironde au sud de la Vendée, et produit 90.000 hl en vin rouge (pour 1/3), vin blanc (1/3) et rosé (1/3).

Et ça marche ! Depuis maintenant 10 ans, les eaux de vie de Cognac ne sont plus en crise, et nul ne pense à revenir en arrière et abandonner la production de Vin de Pays Charentais. J’en veux pour preuve que, sur les 4.500 ha du vignoble, un tiers a été planté après 1999 !

Le label « Vin de Pays », c’est quoi ?

logo-igp-indication-geographique-protegeeLe label « Vin de Pays » définit et protège la cohérence géographique d’une production vinicole. Il concerne généralement des zones de production à l’échelle du département ou de la commune. A ce label correspondent des conditions strictes de viticulture et de vinification (limitations géographiques, cépages autorisés et leurs proportions, rendement, degré d’alcool, acidité).
Depuis 2009, et l’uniformisation des labels à l’échelle européenne, la notion de « IGP » (Indications Géographiques Protégées) s’est substituée à celle de Vin de Pays. Libre aux producteurs de continuer à utiliser l’ancien nom.

Et l’AOC ?

Contrairement à l’IGP qui identifie une zone géographique, l’AOC (désormais AOP : Appellation d’Origine Protégée) protège à la fois la géographie et l’histoire d’une production. Elle est donc plus exigeante.
Le Vin de Pays Charentais n’ayant que 30 ans d’histoire ne peut pas revendiquer l’AOC.

Depuis 25 ans, le vignoble a connu des années difficiles, comme au printemps 1991 où il gèle, anéantissant une grosse partie de la production. Mais les coopératives et vignerons indépendants ont développé un savoir-faire local, et appuyés par le syndicat du Vin de Pays Charentais, ils ont développé la renommée de la marque et un marketing adapté aux modes de consommation actuels.

Parmi les exploitations qui font la réputation du vignoble, le Domaine du Grollet est l’un des plus respectés.

Le domaine du Grollet – « les nouveaux vins de l’ancien monde »

Le Domaine du Grollet est la propriété de la famille Hériard Dubreuil, via la maison de Cognac Rémy Martin (Groupe Rémy Cointreau). Ce domaine, illustration de la diversification du monde viticole cognaçais évoquée plus haut, a pris la décision de replanter son vignoble en 1987. Après avoir analysé les sols, et testé plusieurs combinaisons, des parcelles ont été identifiées pour accueillir des plants de Merlot et de Cabernet-Sauvignon.

Il faudra attendre 1999 pour que la première cuvée sorte du chai du domaine. Il faut en effet plusieurs années après avoir planté la vigne pour que celle-ci produise du raisin qui puisse être vinifié. Le temps pour les racines de la vigne de se développer en profondeur, afin d’aller chercher ses nutriments.

Le domaine du Grollet, c’est maintenant 60 ha, dont 20 ha plantés en cépages rouges (12 ha en Merlot et  8 ha en Cabernet-Sauvignon) autour de Segonzac, au milieu de la Grande Champagne, terroir d’origine des plus grandes eaux de vie de Cognac.

Eric Jaunet, maître de chai au domaine du Grollet, nous parle de ses vins :

« Le domaine n’est pas situé dans une zone précoce.  Donc pour atteindre le niveau de maturité désiré, nous effectuons un certain nombre d’interventions : taille précoce (janvier pour les Cabernets et février pour les Merlots), taille courte, ébourgeonnage sévère, élimination des paquets de raisin, effeuillage, éclaircissage sur certaines parcelles pour avoir plus de concentration…). »

« Les vins du Domaine du Grollet sont puissants mais les tanins doivent être soyeux et non rustiques. Tous les choix techniques de la vinification sont faits dans ce sens : date des vendanges, élevage en fûts maitrisé. »

Et le résultat est étonnant. Coloré, tannique, puissant. La légende dit que lors d’une dégustation entre amis où le domaine de Grollet fut testé à l’aveugle au milieu de plusieurs vins de Bordeaux, c’est le vin charentais qui a fait l’unanimité.

Eric Jaunet nous explique qu’« aujourd’hui, seuls les circuits spécialisés sont exploités pour pouvoir  valoriser les produits : clientèle particulière, restauration, cavistes. La production est également exportée au Québec et au Japon.» Le prix de la bouteille varie entre 8€ et 11€ selon le circuit de distribution.

« Les nouveaux vins de l’ancien monde » : Ce défi lancé dans ce slogan marketing en dit long sur l’ambition portée par le domaine.

Le couple Merlot – Cabernet-Sauvignon règne en maître dans le Sud-Ouest

Le Merlot : c’est le cépage le plus planté dans le bordelais et dans le sud-ouest en général. Il donne des vins souples et colorés, et s’exprime sur des arômes de fruits noirs. Son nom viendrait des merles, qui seraient particulièrement friands de ces grappes de raisin.
Le Cabernet-Sauvignon : c’est le cépage le plus planté au monde. Il donne des vins tanniques et aptes au vieillissement. Il est souvent utilisé en assemblage avec d’autres cépages.
Ces deux cépages sont complémentaires. Assemblés, la souplesse et le fruit du merlot assouplissent les tanins du cabernet sauvignon, ils donnent de grands vins. C’est le cas dans le bordelais et en Charente où ils sont quasiment systématiquement assemblés.

Jusque là, il y a 3 commentaires

Samarcande

Autant je connais (et apprécie !) le Pineau des Charentes et le Cognac, autant j’ignorais absolument l’existence de ce « vin de pays charentais » qui existerait tout de même depuis plus de 30 ans… Il faudra donc maintenant goûter ce vin (dont j’aime assez le slogan marketing) pour se faire un avis.
J’espère que nous aurons par ailleurs l’occasion de lire des articles liés de près ou de loin au Cognac. C’est une liqueur très méconnue, me semble-t-il, et qui dégage pourtant des arômes très prononcés et extrêmement riches dont on ne se lasse pas.

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