Le goût du sol

La raison pour laquelle le vin fascine tant tient à l’unicité de chaque cuvée. D’une parcelle à celle du dessus, d’un vigneron à son voisin, d’une année à la suivante, il n’existe pas 2 cuvées identiques. L’unicité du vin ne tient pourtant qu’à 4 jeux de variables :

  • Le climat, c’est-à-dire l’ensemble des conditions météorologiques auxquelles est soumise la parcelle tout au long de l’année : pluie, température, exposition au soleil, au vent, …
  • Le sol, constitué de tout ce qui se passe sous nos pieds : le sol de surface et son sous-sol constitué de la roche mère
  • Le cépage, ou les cépages sélectionnés dans l’assemblage final
  • Le savoir-faire du vigneron, perfectionné par un héritage multi-générationnel et influencé par la culture locale du vignoble. Il détermine toutes les décisions qui organisent le travail dans la vigne et dans le chai.

C’est ce qui définit un terroir : un territoire dans lequel ces quatre variables constituent un ensemble homogène, et dans lequel les vins produits présentent une typicité de style.

Aujourd’hui, nous allons nous intéresser celle de ces variables qui passe un peu sous les radars. Sûrement parce que c’est celle que l’on voit le moins : le sol, qui constitue une partie fondamentale du terroir.

Le sol, partie intégrante du terroir

Le sous-sol désigne la structure géologique, c’est-à-dire la nature de la roche mère cachée en profondeur. Sans sombrer dans le cours magistral de géologie, voilà ce qu’il faut savoir sur les roches mères qui constituent le sous-sol de nos vignobles. Il en existe 3 sortes :

  • les roches magmatiques : elles proviennent du refroidissement du magma. Soit en surface (on parle alors de roches volcaniques), soit en profondeur (on parle alors de roches plutonique). Exemple : le granite est une roche volcanique
  • les roches sédimentaires : elles proviennent de la sédimentation au cours du temps de minéraux, de matière organique ou d’autres roches. La sédimentation peut avoir lieu à l’air libre, sous l’eau ou sous les glaces. Le calcaire, l’argile, les grès, les marnes, les sables et le plus souvent leurs mélanges constituent les roches sédimentaires.
  • les roches métamorphiques : elles proviennent  de la pression exercée sur les roches magmatiques (par exemple : les gneiss) et les roches sédimentaires (par exemple : les schistes, plus connus sous le nom d’ardoise)

En surface, la partie émergée du sous-sol est le résultat de l’altération de la roche mère sous-jacente et de son interaction avec l’atmosphère et l’humain.

La texture du sol (terre, cailloux, galets, sables…), sa constitution chimique (teneur en minéraux, acidité, …) et sa capacité à filtrer et retenir l’eau et la chaleur sont autant de caractéristiques qui le définissent. Toutes ces caractéristiques ont une influence sur le développement végétatif de la vigne et la composition chimique de ses baies de raisin. Et donc sur le goût du vin produit !

Existe-t-il un sol idéal pour faire du vin ?

S’il existe un sol idéal pour la culture de la vigne destinée à la production de vin, ce serait un sol constitué d’une couche de terre fine et d’un sous-sol riche en minéraux, qui laisse s’enfoncer les racines en profondeur. La vigne n’aime pas avoir « les pieds dans l’eau » ! Car l’humidité favorise le développement de maladies. Il faut donc que le sous-sol soit bien drainé, mais que la roche présente également une capacité de rétention de l’eau afin que les racines puissent l’atteindre en profondeur.

Mais la notion de sol idéal est relative ! Il y a autant de sols idéaux que de styles de vins recherchés. Nous allons voir par exemple pour révéler tout son potentiel aromatique, chaque cépage a besoin d’un sol aux caractéristiques qui lui sont spécifiques.

Comprendre les interactions entre le sol et la vigne

Pour comprendre l’influence du sol dans le goût du vin, il faut comprendre les interactions entre la vigne et son sol.

Pour se développer, la vigne a besoin d’eau. Elle va chercher cette eau en profondeur. Selon la capacité du sol à retenir l’eau et à laisser les racines creuser leur passage en profondeur, la vigne sera plus ou moins résistante à la sécheresse. Elle pourra surtout aller chercher les nutriments dont elle a besoin à différents niveaux de profondeurs. Les racines de la vigne peuvent s’enfoncer jusqu’à 15 mètres de profondeur ! Elles traversent différentes couches du sol et du sous-sol, récupérant des nutriments d’autant plus riches et variés.

Pour se développer, la vigne a besoin plusieurs types de nutriments :

  • de la matière organique, présente dans le sol en surface.
  • de l’azote, issu de la dégradation de la matière organique. Il est utilisé pour la production de la matière verte de la plante.
  • des minéraux (phosphore, potassium, magnésium, calcium…). Le phosphate, par exemple, favorise le développement des racines et la maturation des raisins. Le potassium contribue à la production de la sève.
  • des oligo-éléments (fer, cuivre, zinc, manganèse, bore…). Le fer est par exemple indispensable à la photosynthèse.
  • des acides

La présence de ces nutriments dans les roches traversées par les racines va donner sa vigueur à la plante. La composition des baies de raisin et donc le goût du vin s’en trouveront modulés.

Coupe d’un sol argilo-calcaire @chateau-dauphine.com

Ainsi un même cépage vinifié dans des conditions climatiques comparables ne donnera pas le même résultat sur un sol calcaire que sur un sol granitique. Si le cépage et le climat déterminent la nature du vin produit, le sous-sol, plus discret, va moduler les qualités organoleptiques du vin.

La Bourgogne et l’Oregon en exemples

Les moines cisterciens ont compris empiriquement le rôle du sol au XIIème siècle

Le vignoble bourguignon, vignoble de terroir par excellence, illustre à merveille l’influence du sol sur le vin. Dès le XIIème siècle, les moines cisterciens remarquent que le vin produit par telle parcelle diffère de celui produit sur la parcelle voisine. Le climat y est pourtant le même, le cépage est le pinot noir dans les deux cas, et ce sont les mêmes moines qui ont vinifié les deux parcelles. D’où peut alors venir la différence ?

Sans trouver d’explication technique à l’époque, les moines identifient les parcelles aux caractéristiques homogènes et les séparent par des murets de pierre. On en trouve toujours la trace aujourd’hui. C’est la naissance des clos, encore appelés « climats » en Bourgogne (à ne pas confondre avec le climat au sens « météorologique » du terme).

La différence vient du sous-sol.  Si l’identité de la région s’appuie bien sur un sous-sol argilo-calcaire, la nature de ce sous-sol évolue dans le coteau. Sous l’influence de la pluie qui le draine, le calcaire domine le sous-sol du haut du coteau, et s’enrichit en argile au fur et à mesure que l’on descend le coteau.

L’Oregon et la Bourgogne : un cépage, un climat, mais deux sols

De la même façon, nous vous avons récemment parlé du vignoble de l’Oregon. Il bénéficie d’un climat très similaire à celui de la Bourgogne. Le pinot noir en est le cépage emblématique. Et de nombreuses familles bourguignonnes ont vu dans la Willamette valley une extension du terroir bourguignon. Elles y ont investi dans des domaines et pilotent la vinification dans les deux régions, pourtant distantes de 8500 km !

Si vous ouvrez une bouteille de Pinot Noir de la Willamette valley du domaine Drouhin, vous reconnaîtrez la structure tannique du pinot noir, mais vous ne reconnaîtrez pourtant pas un vin de Bourgogne.

Alors que la Bourgogne est un vignoble au sous-sol argilo-calcaire, la Willamette valley est connue pour son sous-sol volcanique aux caractéristiques très différentes. Une bonne idée de dégustation serait d’ouvrir un Beaune premier cru de la maison Joseph Drouhin 2016 et un Oregon Roserock Zéphirine 2016 de la même famille Drouhin.
Vous constateriez que le vin bourguignon et le vin orégonais sont clairement différentiables. Le sous-sol a joué son rôle et modulé les caractéristiques organoleptiques du vin.

Les vignes du domaine Drouhin en Oregon

Les caractéristiques des principaux sols

Dans les grands vignobles du monde, les sols les plus répandus sont les sols calcaires, argilo-calcaires, granitiques et les graves.

Le calcaire, sol de prédilection des grands vins français

Il y a des millions d’années, les terres constituant aujourd’hui nos vignobles étaient recouvertes de mer. L’activité des êtres marins, la lente fossilisation de leurs coquilles, et les réactions chimiques dont je vous épargnerai les formules ont participé à la constitution d’une roche par sédimentation : le calcaire.

A la faveur des mouvements des plaques tectoniques, ces mers ont lentement émergé à la surface et constituent aujourd’hui de grands vignobles. Les sols calcaires présentent trois qualités majeures pour la vinification de grands vins :

  • Leur qualité de drainage de l’eau favorable au stress hydrique dont la vigne a besoin pour donner le meilleur
  • Leur texture, qui permet aux racines de pénétrer le sol en profondeur. La vigne va pouvoir aller chercher des nutriments riches et variés contribuant ainsi à la complexité aromatique des vins produits
  • Leur structure chimique favorise la production de raisin au taux d’acidité élevé. L’acidité donne au vin sa fraîcheur en bouche et équilibre l’alcool pour donner de grands vins de garde.

 

Les vignobles de Bourgogne, de Chably, de Champagne, mais également de Saint-Emilion sont connus pour leur sol calcaire. Le tuffeau, qui est un calcaire tendre et poreux, est le sous-sol de prédilection du sauvignon blanc et du cabernet franc dans le vignoble du Pays de Loire.

Assez curieusement, on ne retrouve ces sols 100% calcaires que rarement dans les vignobles du monde !

Les sols argilo-calcaires font le bonheur des vins du monde

L’argile est une roche riche à grain très fin, qui retient l’eau. C’est également une roche froide qui retarde la maturation des raisins. C’est donc un sol moins favorable aux cépages qui ont besoin de chaleur pour atteindre leur maturité, comme le cabernet sauvignon. En revanche les sols argileux sont connus pour donner des vins puissants et concentrés. Dans les sols des grands vignobles, l’argile se trouve souvent associée au calcaire dans des sols argilo-calcaires qui constituent le Graal pour tout vigneron !

On retrouve les sols argilo-calcaires dans tous les grands vignobles du monde. En France, ils réussissent parfaitement au merlot à Pomerol. En Espagne, ils subliment le cépage Tempranillo dans vignobles de la Rioja et la Ribera del Douero. C’est également le cas pour le cépage Sangiovese en Italie. On les retrouve enfin dans la vallée de la Napa en Californie et dans la vallée de la Barossa en Australie !

Vignes dans la vallée de la Napa

Les terroirs granitiques, favorables aux vins minéraux

Les sols granitiques sont souvent constitués de roches dures et fissurées en profondeur, qui se désagrègent en une structure sableuse en surface. Ils présentent trois caractéristiques :

  • la capacité à renvoyer de la chaleur le jour, puis baisser en température la nuit. Cette variation des températures est favorable à la maturation des baies tout en préservant leur acidité
  • La désagrégation de la roche mère libère de nombreux éléments minéraux dont on retrouve la trace dans les vins produits
  • Les fissures et la faible capacité de la roche mère à retenir l’eau favorise le développement racinaire en profondeur

Ces sols sont particulièrement favorables aux cépages Gamay dans le Beaujolais et Syrah dans la vallée du Rhône. On les retrouve également en Alsace, dans plusieurs vignobles espagnols et en Afrique du Sud, où ils font la réputation des Pinotages de Stellenbosch.

Falaises granitiques entourant le vignoble de Stellenbosch

Les graves, terroir de choix pour le cabernet sauvignon

Les graves se présentent sous la forme de galets apportés par les fleuves. Ces galets présentent l’intérêt d’accumuler de la chaleur le jour pour la restituer à la vigne la nuit. Ils sont donc particulièrement favorables aux cépages à maturation tardive, comme le cabernet sauvignon.
Ces sols font la réputation de la rive gauche du vignoble bordelais, auquel ils ont donné leur nom les Graves !

Sols de l’AOC les Graves dans le bordelais  @vinsdegraves.com

 

Jusque là, il y a 4 commentaires

Chabrouk

Très intéressant ! Une question me vient cependant : les différents sols ont-ils aussi une influence sur la « nécessité » à utiliser des pesticides (en plus ou moins grande quantité) ?

Réponse
Maxime

Bonjour,
Plus que la nature du sol, c’est sa structure qui peut influencer la nécessité d’utiliser des pesticides, ou en agricultures bio ou biodynamique à effectuer des traitements préventifs parfois plus réguliers : un sol sableux (granite, grès, calcaire pur …), plus drainant réduira l’humidité stagnante favorable au développement des maladies (mildiou et oïdium). Au contraire d’un sol argileux qui lors des millésimes  »humides » présentera plus de risques de maladies et donc de pertes.

A l’inverse, les sols plus lourds et qui retiennent plus d’eau sont appréciés lors des millésimes chauds et secs (de plus en plus fréquents) car ils permettent une maturation plus régulière des fruits !

Réponse
desplaTS GEORGES

BRAVOS
enfin une réponse simple sur la analogie vinicole, très très bon article
Dieu sait que c’est très important cette différence de nature du sol Technique mais essentiel merci Félicitations on apprécie

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